samedi 2 avril 2011

Entretien avec Patrick Araia Amaru (traducteur), réalisé par Auréba Sadouni)

Au salon du livre de Paris, je butinais de stand en stand lorsque mon regard s’est arrêté net sur un étalage de livres dont la langue était exotique pour moi. J’ai pu constater que le Petit Prince était aussi traduit en tahitien. Voyant que j’étais curieuse, une dame du stand des éditions des mers australes m’a emmenée vers Patrick Araia Amaru pour qu’il me lise un petit morceau de texte en tahitien, histoire de voir comment cela sonne.
Patrick Araia Amaru vit à Tahiti. Il porte plusieurs casquettes. En plus d’être enseignant, il est écrivain, poète et traducteur. Parmi ses œuvres, il a écrit en tahitien Vaianu : des mots pour soigner les maux, avant de traduire ce livre en français. Pareillement, il a écrit des poèmes en tahitien regroupés dans le livre Puhuhau, qu’il a aussi traduit en français. Il a également traduit une œuvre de M. Hélène Coste, La Légende de Pipirima, en français, dans le but de l’adapter pour une représentation théâtrale avec des paroles,des dialogues et avec de la danse polynésienne (que l’on appelle heiva).
Bien sûr, j'en ai profité pour poser à Patrick Araia Amaru quelques questions sur la pratique de la traduction, et il y a gentiment répondu ….

1) Pourquoi est-ce que vous traduisez en français ?
Ça a toujours été par nécessité, pour me faire comprendre. Beaucoup de jeunes à Tahiti ne comprennent pas le tahitien.

2) Est-ce que vous considérez qu’avec vos traductions en français, vous donnez accès à la langue tahitienne ?
Oui. Beaucoup de personnes, en lisant en français, se mettent à lire après en tahitien.

3) Quels textes traduisez-vous, à part les vôtres ?
Je traduis plutôt des revues, des articles, des livres pour enfants dans le cadre scolaire.

4) Est-ce que quand vous traduisez vos poèmes, c’est de la réécriture ?
Carrément.
Ex : Ua pata te maire / a éclos la fougère (traduction mot à mot). Cela veut dire « avoir bien mangé et avoir pris du plaisir à manger ». Comment garder l’idée de fougère ou de fleur ?

5) Qu’avez-vous proposé comme traduction ?
Je ne m’en souviens pas là, tout de suite.

6) Vous travaillez pour quelles maisons d’édition ?
Pour les Editions des mers australes.

7) Quelles sont les difficultés que vous rencontrez pour traduire vos poèmes en français ? Les rimes ? Ou bien…
Oui. Il n’y a pas les mêmes rimes en français qu’en tahitien. Il y a également d’autres difficultés. La langue tahitienne est écrite depuis pas plus de 200 ans. C’est une langue très sonore.

8) Il y a donc une perte en français ?
On perd la beauté du son, du sens, aussi. En tahitien, prolonger, allonger un son donne un autre sens.
Voici les différentes façons de prononcer une même voyelle :
a
à : a glottal
ā : a long
â (combinaison de à et ā) : long et glottal

Voici quelques exemples où l’on voit que selon la longueur d’une voyelle, nous pouvons avoir un sens différent :
-Mea útea / C’est loin
Mea ?tea(en prononçant le u, Patrick Araria Amaru effectue un mouvement du bras vers l’avant, traduisant la distance.) / C’est beaucoup plus loin
-tai / la mer, le large
Tài /pleurer
-ana / grotte
Ana / râper

Traduire les jeux sur les voyelles, sur les sons est difficile
Par exemple, l’inversion des syllabes, qui donne un autre sens :
Ua topa te ua / Est tombée la pluie (traduction mot pour mot).
Ua pato te ua /A rebondi la pluie (traduction mot pour mot).
« To » et « pa » traduisent la verticalité. Pa = bas ; to = haut. (to pa = de haut en bas. Pa to = de bas en haut.
Pour les romans, il y a les mêmes difficultés. Par exemple, comment traduire une action rapide.
Aussi, des fois, nous n’avons pas l’équivalent en français ; il faut passer par 3 ou 4 mots ou faire une phrase, par exemple pour parler de choses qui existent à Tahiti mais qui ne sont pas connues en France métropolitaine.
Il y a des concepts intraduisibles. Un mot peut vouloir dire en même temps « amour », « pitié » et « compassion ». Il faut trouver un unique mot en français, adapter. Avec les mots qui viennent après, on essaie de préciser. Ça alourdit la langue.
J’ai fait l’effort d’écrire dans un français qui colle au maximum aux sonorités du tahitien. Cela m’est égal de m’éloigner du français standard, quitte à choquer. Traduire dans un français standard, normé, n’est pas possible. Je m’éloignerais trop de l’original.

9) C’est difficile !
Très difficile.
Une difficulté, aussi, quand je traduis les textes d’une autre personne, c’est entrer dans la pensée de l’auteur. Comment deviner l’intention au moment de traduire ?
Après, j’appelle l’auteur pour comparer (« C’est bien ce que tu as voulu dire à tel moment ? »)

11) Des projets en cours ?
Nous avons un projet : faire un DVD qui raconte comment on est passé de l’écrit à la traduction et à la représentation.

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