jeudi 15 juillet 2010

Description d'une cerise, par Olivier Marchand

En photo : Cerises Burlat, par Cecilia48400

L'ensoleillement sans précédent de ce printemps 1872 avait rapidement effacé sa douce fleur blanche au coeur d'or, dont les pétales, bercées par une brise tiède, avaient flotté quelques minutes dans les rues désertes de Gerland avant d'atterir sur les eaux calmes du Rhône. De cette blanche enveloppe qui avait annoncé sa naissance, elle n'avait conservé que son berceau de sépales au sein duquel elle s'était silencieusement développée pendant les premiers jours du mois de mai. A travers l'ombre du feuillage, elle s'était peu à peu libérée de ce cocon de verdure qui avec le temps était devenu trop étroit, et avait offert au soleil printanier son premier visage. Elle était encore trop jeune, trop dure et trop amère pour être offerte à des papilles avides de plaisir, mais elle pouvait compter sur une exposition parfaite, un léger ombrage et une température idyllique pour s'épanouir pleinement et devenir ce petit coeur charnu qu'un passant gourmand viendrait croquer avec délectation. Autour de sa candide graine, un corps voluptueux se développait jour après jour et sa robe vermeille, dans sa jeunesse fade et terne, aujourd'hui dépoussiérée par une brise cajolante, brillait innocemment. Ce juvénil fruit ne connaissait pas encore le destin particulier que lui avait réservé la vie mais, suivant l'exemple de ses innombrables voisines, elle s'efforçait de se rendre la plus alléchante et la plus désirable afin d'être cueillie par un être qui transporterait sa frêle graine loin de son berceau originel. Elle s'offrait aujourd'hui dans toute sa beauté : son habit, d'une profonde couleur rouge aux sombres reflets ne demandait qu'à être caressé par des mains humaines, sa chaire, débordante de générosité, était obsédée par la pensée d'une paire d'incisives mettant à nu son corps lascif et libérant les saveurs les plus profondes qu'elle avait à offrir.
C'est par une fraîche matinée de juin qu'un homme, Léonard Burlat, alors soldat en garnison dans le régiment d'artillerie de Lyon, vint à passer à ses côtés. La vue de ce sensuel fruit, révélé dans toute sa pureté et son ingenuité provoquèrent chez le garçon une soudaine salivation et, obsédé par ce globe charnel, il ne put s'empêcher de tendre la main vers elle. Malgré le sauvage désir qui habitait le jeune militaire de sentir cette naïve chair se promener sur sa langue, le fruit fut détaché par une délicate caresse et un léger craquement annonça sa libération tant désirée. Elle fut placée au creux de sa main moite, écrin naturel qu'elle avait convoité pendant toute sa vie, et exposée au regard impudique de son amant, elle s'était sentit fondre. Elle avait été transporté jusqu'aux lèvres fleuries de son premier et dernier compagnon, et dans un mouvement ferme et autoritaire de ses incisives, elle avait succombé au désir, offrant au palais de son adorateur les douceurs infinies que sa charnure laissait transparaître.

2 commentaires:

Tradabordo a dit…

J'espère que vous remarquerez les couleurs du blog pour cette semaine… adaptées au thème de l'exercice d'écriture.

Tradabordo a dit…

J'en profite pour dire à Olivier que son texte m'a plu… bien pensé, bien mené, avec une bonne idée de départ. Merci !