dimanche 26 décembre 2010

Exercice d'écriture : « Pied de tomate », par Olivier Marchand

En photo : TOMATE PARTIDO (Acción Periférica)
par Acciones Urbanas / Left Hand...

Enfin, il sortit…

Pygmalion, s'il avait dû sculpter l'incarnation de la beauté masculine, n'aurait jamais pu espérer obtenir un tel résultat. Homère, s'il avait dû par des mots décrire la perfection, se serait senti bien désemparé à la vue de ce jeune éphèbe. Narcisse, s'il l'avait vu, aurait détourné les yeux de son reflet et les neufs muses d'Apollon se seraient tues devant la grâce, l'élégance et le charme qui animaient son corps.
Moi, qui jusque-là n'avait été ébloui par personne, j'étais littéralement abasourdi devant une telle création de la Nature. Comment décrire la splendeur incarnée, comment expliquer par des mots l'effet que ce jeune homme exerçait sur moi, comment résister à l'enivrement que sa présence me procurait ?
La salopette en tissu qui enveloppait son corps laissait transparaître une silhouette parfaite, la lumière vespérale donnait à sa peau tannée d'envoûtants reflets mordorés et le soleil couchant dessinait sur son corps des ombres enchanteresses. Chacun de ses gestes était un spectacle pour mes yeux de jeune adolescent. Le moindre de ses mouvements était doté d'une sensualité et d'une virilité qui inspiraient à mon corps des sensations alors méconnues, qui susurraient à mes oreilles des pensées impures et qui faisaient naître au plus profond de mon être des envies charnelles. Lorsqu'il se penchait pour arracher les mauvaises herbes qui venaient étouffer les frêles pousses, lorsque, pour venir en aide à un pied de tomate fatigué, il redressait d'un geste souple et assuré le tuteur salvateur, lorsqu'il essuyait du revers de sa main les gouttes de sueur qui perlaient sur son front, chaque centimètre carré de ma peau tremblait et mon cœur bondissait dans ma poitrine comme un animal blessé.
Depuis deux mois j'assistais au spectacle vivant de la beauté. Depuis deux mois ce jeune jardinier colorait mes journées et hantait mes nuits blanches.
Je me décidai un beau jour à sortir de mon refuge et m'extirpai de ma chambre pour aller m'installer dans le jardin où la nature en éveil s'évertuait à réjouir les cinq sens de l'homme : elle souffrit gravement de la comparaison avec l'ange de beauté qui se tenait là, à quelques mètres de moi. Les senteurs qu'elle versait dans ses fleurs étaient fades, les couleurs qu'elle parsemait sur chaque pétale éteintes, la caresse de la brise de mai qu'elle soufflait sur mon visage rugueuse, les chants des oiseaux printaniers qu'elle orchestrait déplaisants et les fruits gorgés de soleil qu'elle offrait insipides. Elle avait beau s'efforcer, elle ne pouvait rivaliser avec l'odeur musquée et masculine que son corps exhalait, avec l'alliance parfaite du noir de ses cheveux, du brun de sa peau et du vert profond de ses yeux, avec la caresse fantasmée de ses larges mains, avec la douce mélodie de sa voix et avec le goût de sa salive prometteuse.
Je garde en mémoire le souvenir du premier regard qu'il posa sur moi et du premier sourire qu'il m'offrit. À cet instant précis, un Cupidon invisible apparut et sa flèche, décochée avec force et précision, transperça mon torse et meurtrit mon cœur à tout jamais.
À la fin de ces délicieux beaux jours, il est parti comme il est venu, splendide et silencieux. Je ne l'ai jamais revu mais, aujourd'hui encore, je me rappelle l'amour silencieux que j'ai porté à cet Adonis l'espace d'un été.

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