vendredi 24 décembre 2010

Exercice d'écriture : « Pied de tomate », par Auréba Sadouni

En photo : Les fruits du jardin
par akynou

J’adorais ce moment, quand il fallait sortir des quatre murs qui m’abritaient de la chaleur étouffante de l’été pour aller chercher, dans le potager familial, les savoureux fruits écarlates qui allaient sublimer nos repas. C’était tout un monde de parfums, de fraicheur et de beauté. Alors que mes pieds nus s’échauffaient et s’asséchaient au contact des dalles poussiéreuses du couloir qui divisait le jardin en deux, mon regard balayait une végétation bigarrée qui arborait fièrement les couleurs de l’Italie. Lorsqu’il était attiré par la coloration sanguine et les formes voluptueuses et irrégulières d’une grosse tomate cœur de bœuf, mon regard ne pouvait réprimer son désir de la caresser. Comme sous la force d’un aimant, mes deux mains, entrainant tout mon corps avec elles, se rapprochaient du fruit tant convoité, et c’était avec une délectation inouïe que je les laissais l’ausculter, du bout des doigts, en la tâtonnant, en la jaugeant, jusqu’à la certitude que c’était la bonne, celle qu’il nous fallait. Quelques fois, il me suffisait de l’effleurer pour qu’elle me tombe dans la main. D’autres fois, il fallait lui donner un petit coup de pouce pour qu’enfin, elle se décide à couper le cordon avec cet autre corps plus grand qu’elle, qui l’avait conçue, l’avait aidée à grossir et à mûrir en l’abreuvant et en lui fournissant toutes les vitamines susceptibles de rehausser son teint de tomate. Cette mère nourricière, qui savait abriter ses enfants des méchants coups de soleil et de bien d’autres désagréments, n’offrait aucune résistance contre moi, car de moi dépendait sa survie. Je ravissais l’une de ses filles que je ramenais auprès de mes autres otages, sur l’autel du grand sacrifice : mon plan de travail. Toutes ces beautés pulpeuses se laissaient faire, car elles savaient que j’étais en train de donner un sens à leur vie, à tout un processus de maturation qui les destinait irrémédiablement à venir échouer dans nos assiettes, en tranches, en quartiers, ou mieux encore : en purée ! Avec des spaghettis ! Avec des cannellonis ! Avec des raviolis ! Certaines sont restées dans des bocaux parce que je savais qu’aujourd’hui, mon pied de tomate favori, ainsi que tous ses semblables, seraient dégarnis. Devant affronter le froid et le vent, ils en ont perdu toute leur coquetterie. Et ils vont devoir encore en voir des vertes et des pas mûres. D’ailleurs, en ce moment, un certain conifère paré de boules rouges leur vole la vedette. Il faut dire que l’hiver est loin d’être leur saison préférée.

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