lundi 12 mars 2012

Entretien avec Rafael Blanco Vázquez – traducteur (français / espagnol)

1) Comment êtes-vous venu à la traduction ?
J’avais commencé à étudier le français très tôt, dès l’âge de quatre ans. C’était ma matière préférée, avec la langue espagnole. Lorsque le moment vint de choisir des études universitaires, je ne pouvais pas faire autrement : je choisis une maîtrise en traduction et interprétation.

2) Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Non. J’ai horreur de passer tout mon temps à faire la même chose et tous les sujets ne m’intéressent pas. Je suis un passionné de cinéma et de littérature. Du coup c’est dans ces deux domaines que je cherche à exercer ce métier. C’est compliqué, mais petit à petit j’ai réussi à traduire deux romans (d’Alexandre Dumas et de François Weyergans), un essai d’Henri Bergson, quelques nouvelles, trois pièces de théâtre et deux longs métrages.

3) Le fait d'écrire vous-même de la littérature a-t-il une influence sur votre manière de traduire ?
Bien entendu. Toute littérature a une grande part de sonorité dont je suis très conscient lorsque j’écris. La sonorité est fondamentale. On ne peut pas avoir un texte avec une sonorité très forte et ne chercher qu’à en reproduire le sens au moment de le traduire. Malheureusement, c’est comme ça que ça se passe en général. Si je lis un texte en espagnol très marrant, de par le choix des mots, et que, de par le choix littéral des mots, ce texte n’est plus marrant dans sa traduction, alors cette traduction ne vaut strictement rien.

4) Vous faites partie de ces auteurs qui s'auto-traduisent… Quelles implications cela a-t-il ? Comment procédez-vous ? Le résultat est-il effectivement une traduction ou un autre texte ?
C’est du cas par cas, mais je n’ai aucun problème à en faire un autre texte si besoin est. Si j’ai une phrase en espagnol qui renvoie, comme je l’ai déjà fait, à une chanson populaire espagnole, cela n’a aucun sens de garder la même en français, puisque je cherche un effet immédiat. Du coup, je la remplace par une phrase qui renvoie à une chanson populaire française. Évidemment, je ne peux faire ça lorsque je traduis quelqu’un d’autre. Mais je suis un fan des notes en bas de page, donc aucun souci.

5) Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
À cause de ma manière très personnelle d’envisager ce métier, je n’ai aucune réflexion en particulier si ce n’est que les gens qui font appel à des traducteurs se foutent de la traduction comme de l’an 40.

6) Choisissez-vous et, le cas échéant, comment les textes que vous traduisez ?
J’ai proposé pas mal de textes à pas mal d’éditeurs, mais cela n’a jamais marché. Il y a même des éditeurs espagnols qui m’ont dit : « Pour qui vous prenez-vous ? C’est nous qui choisissons les livres que nous voulons traduire, non mais ». Il y a quatre ou cinq romans que j’adorerais traduire mais, pour l’instant, je me heurte à l’arrogance des éditeurs : ce n’est pas que ces livres ne les intéressent pas, c’est qu’ils refusent de s’y intéresser. Les livres que j’ai traduits m’ont été proposés.

7) Quels sont les principaux outils que vous utilisez ?
Je ne suis pas très technologique, disons. Je me borne à mon word et mes dictionnaires en ligne, ainsi que des sites comme Wikipédia, qui est très utile.

8) Lorsque vous rencontrez une difficulté, voire que vous êtes bloqué (inquiétude majeure des apprentis traducteurs), comment procédez-vous ?
Je continue et je laisse ça en veilleuse. Je mets un petit mot à côté et puis j’attends que ça vienne. C’est comme quand on veut se souvenir du nom d’un acteur et qu’il n’y pas moyen. Il y a moyen mais plus tard, quand on n’y pense plus. Autrement, j’aime beaucoup demander à des potes qui n’ont aucune connaissance des langues. Le problème du traducteur est que, à force de connaître les deux langues, il finit par perdre de vue comment on dit les choses naturellement dans chaque langue. Il perd le naturel. C’est là que l’intervention de quelqu’un qui connaît juste sa langue s’avère fondamentale.

9) Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ? Vous arrive-t-il, par exemple, de leur demander leur aide ?
Le problème est qu’il faut passer par les éditeurs. Mon expérience à ce niveau-là n’a pas été bonne. Quand je leur ai demandé de me mettre en rapport avec l’auteur, ils m’ont dit des gentillesses du genre « Mais il n’a pas que ça à faire ». Ils m’ont traité comme si j’étais un fan, voyez-vous. Pourtant j’étais en train de traduire un de ses livres en espagnol, pour un éditeur espagnol qui lui aussi s’en foutait royalement. Sinon, une fois j’étais chargé des sous-titres d’un film dont le réalisateur était bilingue français-espagnol. Il refusa ma traduction en bloc et me proposa de revoir ligne par ligne ensemble. Quel était le problème ? Il ne voulait pas traduire le film mais l’expliquer car il avait peur que le grand public ne comprenne pas tout. Si dans le film on disait « on va répondre au sang par le sang », il corrigeait et mettait genre « puisqu’ils ont tué quelqu’un des nôtres, nous on va tuer quelqu’un des leurs ». Cela avait généré un bordel pas possible car, en plus, ses sous-titres ne respectaient pas les lois fondamentales du sous-titrage : nombre de caractères… Enfin bref, c’était lui l’auteur du film, je n’avais qu’à obéir et à essayer de faire plus court avec ses idées à lui. La traduction finale n’est pas une traduction mais une explication du film.

10) Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traducteur ?
Alors là, encore aujourd’hui je ne me sens plus pisser. Il y a un chanteur espagnol qui a toujours été mon chanteur préféré. Il s’appelle Santiago Auserón. Ce chanteur a fait moult reprises de chansons étrangères (notamment américaines) qu’il traduisait lui-même. C’est quelqu’un de très sérieux, de très obsessionnel, et pour lui la traduction d’une chanson n’est pas fin prête tant qu’on n’a pas trouvé le rythme dans la langue cible. Par ailleurs, il parle très bien français (il assista aux cours de Deleuze) et son épouse est française. En 2007, sans le connaître personnellement mais sachant tout cela, je décidai de m’essayer à la traduction musicale. Je pris quelques chansons de lui et je me mis à tenter d’en faire des chansons en français. Le résultat étant fort à mon goût, je pris mon courage à deux mains et téléphonai à sa maison de production. Le gars qui répondit au téléphone me dit d’envoyer par mail mes traductions, mais ne me donna aucun espoir : « Santiago est très occupé », me dit-il. Deux mois après, Santiago me téléphona pour me dire qu’il était sur Paris (où j’habitais à l’époque) et qu’il voulait me rencontrer, car lui et son épouse avaient adoré mes traductions : « Tu as le feeling, mecton, tu as tellement reproduit l’esprit de mes chansons ! », me loua-t-il. Il me donna rendez-vous le lendemain dans un café du cinquième et me proposa de traduire toutes les chansons de son nouveau cd, pour la jaquette. Je fis ce boulot et depuis il m’en a proposé beaucoup d’autres, notamment pour son épouse, qui écrit en français et pour qui j’ai déjà traduit une pièce de théâtre et huit nouvelles.

11) Y a-t-il un texte en particulier que vous aimeriez traduire ou que vous auriez aimé traduire ?
Comme je le dis plus haut, il y en a plusieurs, des romans actuels surtout, mais toutes mes démarches ont fait chou blanc.

12) Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Il devrait être un auteur-passeur.

13) Partagez-vous l'avis de ces traducteurs qui se décrivent avant tout comme des petits artisans ?
C’est comme l’entraîneur qui ne s’accorde aucun mérite et assure devoir tout son succès à ses joueurs. C’est pas vrai, quoi. Il est vrai que le rôle du traducteur est plus modeste que celui de l’auteur. Mais il suffit de traduire une chanson, un poème, et de passer un temps fou à leur chercher un rythme dans leur nouvelle langue, pour se rendre compte que le traducteur n’est pas un passeur.

14) Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent? Et si oui, quel lecteur ?
Ben je fais tout le temps attention à cette tripotée d’erreurs que personne ne prend la peine de corriger et qui égayent les livres traduits. Je viens de commencer à lire un livre américain traduit en espagnol et, dès l’incipit, il y a déjà une préposition mal amenée et une faute de frappe.

15) Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
Aucun.

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