samedi 20 mars 2010

Exercice d'écriture

Le sujet de la semaine était : un personnage de cinéma que je garde en mémoire

***

Laëtitia Sw. :

Permettez-moi aujourd’hui de tricher un peu... En effet, le texte qui va suivre n’est pas le fruit d’un exercice d’invention et d’écriture personnelle comme d’habitude : il s’agit d’un extrait d’un court roman que j’ai lu d’une traite et pleine d’enthousiasme il y a quelques années. Dès que j’ai vu le sujet de la semaine, je n’ai plus eu qu’une idée en tête : retrouver ledit roman. Du coup, je l’ai cherché fébrilement dans ma bibliothèque (enfin... comme elle n’est pas encore totalement sur pied, plutôt dans le tas de poches et de cartons qui me servent de réserve, c’est dire le temps que ça m’a pris... mais bon, j’ai finalement mis la main dessus, fort satisfaite !). En le feuilletant, j’ai été de nouveau sous le même charme qu’à l’époque, et je me suis dit : oh la la, il cadre parfaitement avec le thème, je ne vais pas pouvoir penser à autre chose ! Donc pour cette fois, je m’effacerai exceptionnellement derrière ce petit roman aussi original que séduisant qu’est Stallone, d’Emmanuèle Bernheim. L’histoire débute dans une salle de cinéma où Lise, la narratrice, est venue assister à la projection du film Rocky III, l’Œil du Tigre de et avec Sylvester Stallone, lesquels (film, personnage et acteur) vont changer sa vie. Aimant moi aussi Stallone et quelques-uns de ses films (oui, pas tous, quand même...) mais me gardant bien de le crier sur tous les toits (difficile de trouver des arguments sérieux pour convaincre !), j’avais pensé après avoir lu le livre : géniale cette auteure (hmmm... j’ai encore du mal avec cette nouvelle orthographe : norme, quand tu nous tiens !), et/ou cette narratrice, qui décrit très bien les émotions qui, un jour, ont habité tous les fans de Rocky Balboa et/ou de Stallone. Alors, voilà, aujourd’hui, pas d’exercice d’écriture, juste un aveu de tocade cinématographique qui date de l’enfance (je vous entends déjà crier : bou, la honte !) et un clin d’œil à un très chouette roman !

« Quatre... Cinq... Six... Sept... Huit... Neuf... Dix...
Clubber Lang reste au sol.
L’arbitre se redresse.
« Clubber Lang est vaincu par knock-out. Le champion du monde des poids lourds est l’Étalon Italien : Rocky Balboa... »
Des spectateurs applaudirent. Pas Lise. Ses mains restèrent agrippées aux accoudoirs, tellement crispées que le velours lui piquait les paumes.
L’image se figea. Michel se leva. Il avait déjà sorti ses cigarettes et son briquet.
– Tu viens ?
... Risin’up, back on the street, did my time, took my chances...
Lise ne répondit pas. Elle écoutait la chanson.
... So many times, it happens too fast, you change your passion for glory...
– Je t’attends dehors.
... It’s the Eye of the Tiger, it’s the thrill of the fight...
Des spectateurs de sa rangée voulurent sortir, Lise ne se leva pas pour les laisser passer, elle ne se poussa même pas. Ils durent l’enjamber.
Elle ne bougeait pas.
C’était tout simple. Devenu champion du monde de boxe, Rocky Balboa se laisse aller et se ramollit. Un jour, Clubber Lang, un boxeur venu de la rue, le défie. Balboa l’affronte et perd son titre. Il reprend alors l’entraînement à la dure, comme à ses débuts, et retrouve la rage de vaincre, l’Œil du Tigre. Il bat Clubber Lang et regagne son titre. Et voilà.
Lise resta immobile jusqu’à la fin du générique. Elle fut la dernière à quitter la salle.
Michel discutait dehors avec un couple d’amis. Elle s’approcha. Ils critiquaient le film, ils préféraient tous Rocky I ou même Rocky II.
– Et toi ?
Elle n’avait vu ni l’un, ni l’autre.
Ils continuèrent à discuter. Lise n’avait pas envie de parler, et elle ne voulait plus les entendre.
– Je suis fatiguée. Je crois que je vais rentrer.
Elle embrassa Michel.
– À demain.
Elle descendit dans le métro. Arrivée au tourniquet, elle hésita. Non. Ce soir, elle avait envie de marcher.
... Don’t lose your grip on the dreams of the past, you must fight just to keep them alive...
Lise se retenait de chanter à tue-tête.
... It’s the Eye of the Tiger, it’s the thrill of the fight, rising up to the challenge of our rival...
Elle marchait de plus en plus vite.
... And the last known surivor stalks his prey in the night...
Elle se mit à courir.
... And he’s watchin’ us all in the Eye of the Tiger...
Elle sentait, à chaque foulée, les muscles de ses cuisses et ceux de ses mollets. Hanches, genoux, chevilles, chacune de ses articulations fonctionnait, et le trottoir, sous la plante de ses pieds, lui semblait presque élastique.
[...]
Désormais, elle irait voir tous les films de Stallone.
Tous. Elle n’en raterait aucun. Elle en faisait aujourd’hui le serment.
Et elle n’attendrait pas qu’ils passent à la télévision. Non. Elle irait les voir en salle, elle paierait sa place.
Elle lui devait bien cela. Car c’était grâce à lui que sa vie allait changer. »

Emmanuèle Bernheim, Stallone (Éditions Gallimard, Paris, 2002)

***

Laëtitia :

Dans mon souvenir, Ma Sorcière Bien Aimée, faisait naître en moi de doux rêves sucrés de désirs exhaussés en remuant mon nez. Qu’en est-il aujourd’hui ? Samantha Stevens, jolie comme un cœur, au sens de l’humour tout en subtilité et son mari au physique ingrat où l’on n’a rien compris au principe des torchons et des serviettes, pourtant si cher à la télévision étasunienne. Non mais franchement, avec un menton d’un kilomètre de long, comment cet énergumène a-t-il réussi à conquérir le cœur de Samantha ?
Eh bien tout simplement comme cela se faisait il n’y a pas si longtemps : en offrant un mode de vie. Samantha ne voulait qu’une chose, allez savoir pourquoi : une vie normale d’être humain normal. Quoi de mieux que de partager celle d’un Américain moyen, dans une maison douillette de banlieue tranquille.
Mais n’est-il pas cher payé, ce rêve ? Se retrouver avec un homme qui est si conscient de sa médiocrité qu’il ne supporte pas la supériorité de sa femme et lui interdit formellement d’utiliser ses pouvoirs ? Bien sûr, il autorise des entorses à ses propres règles lorsqu’il s’agit de lui venir en aide. Car Jean-Pierre, Jean-Pitre ou Jean-Poire pour les intimes, ne se contente pas d’être laid, loin de là, il est également simplet et d’une incroyable incompétence dans son travail. Il doit sans cesse faire appel aux pouvoirs de sa femme mais aussi, le plus souvent, à son intelligence cent fois supérieure à la sienne, pour se tirer de mauvaises situations et sauver son emploi.
Interdire à Samantha d’utiliser ses pouvoirs, revient à lui faire renier son identité. C’est une façon d’augmenter son emprise sur elle. Jean-Poire a l’ascendant. De cette façon, au moins, Samantha ne se rend pas compte que toutes les choses que son mari ne peut pas lui offrir, ne tiennent, en réalité, qu’à un remuement de nez.
Comment peut-on vouloir troquer une vie où l’on peut tout avoir contre celle de bonne à tout faire où il faut savoir rester dans l’ombre de son mari et accepter d’être exhibée en tant que faire-valoir? N’est-il pas là, le message de la télévision américaine de l’époque ? Une femme n’est heureuse que si elle est à « sa place ».
On voudrait crier à Samantha de se rebeller. Rien n’y ferait, aussi convaincue qu’elle est que son bonheur est là : s’occuper de son mari d’abord, de ses enfants ensuite et, peut-être, loin derrière, d’elle même.
Voilà donc comment on façonne l’esprit de millions de petites filles alors si Barbie Femme au Foyer en rajoute une couche, nous sommes perdues !

Aucun commentaire: