lundi 6 décembre 2010

Exercice d'écriture spécial, par Alexis Poraszka

Les mots imposés étaient les suivants :

- eh ben, c'est pas là
- pailler
- verger
- niaque
- coing
- rétif
- jamais, jamais
- boute-en-train
- cabas
- cochon gras
- Lolo la Contorsionniste
- Toto le Bourrin
- Le futur
- La promise
- Destinée (chanson)
- Fromsita
- Marcher dans les branches
- Gorge
- Verve
- Le Chinois
- Stylish
- Miche

***

Le résultat :

« Dame de bonne compagnie recherche pour colocation détonante jeunes gens agréables sachant jouer au scrabble et tricoter le point de croix ».
Effrayée à l’idée de vivre toute seule dans sa grande maison campagnarde, Fromsita avait décidé de déposer une petite annonce. Depuis que son époux était passé de vie à trépas l’année précédente, électrocuté par sa couverture chauffante, la petite mémé se sentait bien seule. Toto le Bourrin avait donc trouvé son bonheur chez la vieille dame et avait décidé de sous-louer une des chambres disponibles. La seconde fut choisie, quelques jours plus tard par une jeune demoiselle répondant au nom de Lolo la Contorsionniste. Trouvant son nom trop compliqué à retenir, Fromsita avait renommé ladite Lolo par Stylish ce qui, à son goût, collait beaucoup mieux à sa personnalité.
Toto était un grand gaillard, brun, barbu et sympathique. Fromsita avait remarqué qu’il avait tendance à beaucoup gesticuler et à parler beaucoup. Elle qui avait besoin de compagnie se sentait vraiment en osmose avec le jeune homme qui lui rappelait feu son époux Emile. D’ailleurs, elle fut transportée de joie le jour où Toto lui avoua qu’il adora le thé à la camomille, comme elle. Ils devinrent rapidement inséparables et le garçon trouva en la vieille femme une amie, une confidente, une âme-sœur. Quant à Lolo, affinée par les longues années où elle avait été contorsionniste dans un cirque, elle était petite, beaucoup plus petite que Toto, mais surtout, elle était rigolote ce qui plaisait beaucoup à Fromsita. La maisonnée paraissait un havre de paix pour ses trois habitants qui formaient une petite famille. Mais le bonheur fut de courte durée et la fin des beaux jours débuta quand Fromsita présenta à ses deux colocataires son fils et Le Chinois.
Le Chinois était l’amoureux secret de Fromsita. Il était plus jeune d’une trentaine d’années, et avait les cheveux noirs et les yeux noirs. Bien qu’âgée de quatre-vingt-cinq ans, la vieille femme avait une énergie débordante et une soif d’amour insatiable, et Le Chinois était, physiquement, tout à fait son type d’homme. Malheureusement, dès son arrivée, Le Chinois, dont le véritable prénom devait être Chan, fut instantanément pris d’amour pour Lolo et lui déclara sa flamme en musique :

"Destinée,
On était tous les deux destinés,
A voir nos chemins se rencontrer,
A s'aimer sans demander pourquoi,
Toi et moi"

Après quoi, il ne put se séparer de la contorsionniste et passa la soirée accroché à elle, ce qui rendit Fromsita folle de jalousie. Elle avait la niaque et voulut tous les massacrer, les découper en morceaux et les mettre dans son cabas pour les noyer dans le ruisseau voisin. Afin d’oublier son chagrin, elle se dirigea vers la porte d’entrée pour accueillir son fils qui venait de sonner. Quelques secondes plus tard, la vieille revint avec un jeune homme beau comme un dieu grec. Face à un aussi bel Apollon, Toto lui aussi, venant de perdre son latin, voulut se mettre à chanter l’amour que lui inspirait une si belle vision. Et c’est Abba qui lui vint en tête :

"Honey honey, how you thrill me, ah-hah, honey honey
Honey honey, nearly kill me, ah-hah, honey honey
I'd heard about you before
I wanted to know some more
And now I know what they mean, you're a love machine
Oh, you make me dizzy"

— Je m’appelle Toto – lui avait-il ensuite dit.
— Salut, moi c’est Ramón !
Et ils restèrent perdus les yeux dans les yeux pendant quelques instants. Fromsita jeta un œil autour d’elle et vit, d’un côté, Le Chinois et Lolo s’embrassant fougueusement sur le canapé et, de l’autre côté, Ramón et Toto en totale admiration réciproque. Venant de perdre son Chinese Lover, la vieille refusa de laisser son fils à un Breton et s’interposa donc entre eux deux. Le repas commença, sous tension : Fromsita présidait le dîner, du côté gauche Le Chinois et Ramón, du côté droit, respectivement, Lolo et Toto. Fromsita fit déposer sur la table le plat unique de la soirée, préparé par Toto lui-même : Cochon Gras aux Coings.
— Ça a l’air bon ! – dit Ramón.
— C’est toujours bon ce que je fais ! – répondit avec prétention Toto !
— Et où sont les coings ? – demanda Le Chinois.
— Les coings ? – répondit Toto –, c’est la farce !
— Du cochon aux coings ! – s’exclama Lolo –, ça, ça m’en bouche un coin !
— J’y ai mis de la sauce piquante, – rajouta Toto –, donc attention à ta gorge mémé !
Fromsita, outrée, voulut intervenir mais son cœur fragile se mit à palpiter à l’écoute des propos sous-entendus.
— T’es drôle, toi, dis-moi ! – dit Ramón à Toto.
— Si tu savais, je suis plus que drôle, je suis un boute-en-train, tu sais ! – répondit-il.
— Sûrement… oh, les miches ont l’air bien croustillantes, comme sorties du four !
— Quelle élocution, quelle verve ! – lança Toto. Tu sais il y a un pailler à côté d’ici, on pourrait y faire plus ample connaissance !
— C’est pas très confortable ça, non ? – demanda Lolo.
— Je ne suis pas rétif, tu sais. – précisa Ramón. Si tu veux, j’ai un verger aussi. Avec la mousse, c’est tout doux.
— J’adore la nature – insista Toto.
— Jamais, jamais !!! – réussit à dire à bout de souffle la mamie sans que personne ne relève l’intervention.
— Y’aurait-il un endroit où je pourrais te susurrer des mots doux, t’emmener voir monts et merveilles ? – demanda à Lolo Le Chinois qui semblait prêt à marcher sur les branches pour sa belle.
— Ben, c’est pas là ! – lança Fromsita qui faisait une attaque.
— Tu veux être ma promise, bébé ? – demanda Le Chinois à Lolo. Je serais ton futur !
— Oh oui, mon petit nem ! – s’exclama de joie la jeune femme.
C’en était trop pour la mamie. La pauvre vieille parlait mais personne ne semblait se souvenir de sa présence. Son cœur commençait à lui donner des vertiges. Alors que les quatre autres dînaient et parlaient innocemment, la mamie tomba de sa chaise et se traîna tant bien que mal sur le parquet du salon pour atteindre ses médicaments. On aurait dit qu’elle était sur le départ pour le voyage final, qu’elle s’apprêtait à rejoindre son époux. Soudain, elle les vit tous se lever, tous ensemble. Elle se dit, qu’enfin, ils allaient venir la secourir. Lolo, qui adorait le Karaoke se dirigea vers le tourne-disque et, dès les premières notes, ils se mirent à chanter, toujours sur Abba :

"Tonight the super trouper lights are gonna find me
Shining like the sun,
Smiling, having fun,
Feeling like a number one
Tonight the super trouper beams are gonna blind me
But I won't feel blue
Like I always do
'cause somewhere in the crowd there's you"

Après la soirée, les couple se séparèrent jusqu’au matin : Lolo et Le Chinois occupèrent le lit de Fromsita qui avait mystérieusement disparu de table pendant la soirée, et Ramón et Toto s’étaient échappés dans le verger, préférant la belle étoile au pailler. Le lendemain matin, ils retrouvèrent Fromsita, accrochée à son cabas, paralysée, sans vie.
— Eh ben la vieille, elle a dû mal supporter la fête ! – dit Toto.
— Avec tout ce qu’elle a bu, c’est pas prudent ! – renchérit Lolo.
— Carrément, j’ai envie d’te dire. – ajouta Toto. C’est bien la peine de faire la bringue si elle tient pas le coup.
— Une petite chanson pour son dernier voyage ? – proposa Le Chinois.
Tous en chœur se mirent à chanter :

"I'm on the highway to hell
no stop signs, speed limit
Nobody's gonna slow me down
Like a wheel, gonna spin it"

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