samedi 6 février 2010

La traduction vue par une jeune apprentie traductrice, un texte d'Émeline

Je m’équipe : combinaison, chaussures à grosses semelles, casque, lampe et en avant pour la spéléo ! Dans ma trousse j’ai pris soin de mettre tous les outils nécessaires pour creuser la roche, tailler la pierre : marteau, burin, pinces, crochets et deux ou trois flacons pour des échantillons. J’attaque la descente doucement, en prenant soin de lire une fois le texte en remarquant déjà les quelques roches qui vont gêner mon avancée. Je les souligne. Puis je m’empare de mes quelques outils et je commence à percer le texte ; il vole en mille éclats de mots liés les uns aux autres, la roche éclate pour me laisser entrevoir ses veines principales qui ne posent pas trop de souci en soi. Mais le problème réside dans ce qu’on ne voit pas au premier abord. J’ai alors besoin d’outils plus fins, pour ne pas abîmer le texte, je me concentre pour comprendre le sens de ce bout de phrase, le mettre dans l’ordre, trouver assez rapidement une bonne traduction de cet accroc à grand renfort de dictionnaires. J’ai enfin ma pierre, à l’état semi-brut. Je remonte à la surface et dépose tout mon grand attirail. Je laisse la pierre reposer un peu, et moi aussi par la même occasion. Je m’arme alors de mes polissoirs et je lisse et je polis et je passe et je repasse jusqu’à trouver l’éclat de chaque facette satisfaisant. Je dépose alors mon petit bijou avec à la fois fierté et frustration parce qu’il aurait pu être plus beau peut-être…
Arrêtons là la métaphore et venons à la réalité des faits. Pour moi, le premier jet est le travaille le plus important sur un texte. Il permet à la fois de débroussailler le texte et ses difficultés, de plancher sur celles-ci et trouver une solution, laisser venir des petites trouvailles de traduction et se retrouver avec une traduction déjà assez satisfaisante qu’il ne reste plus qu’à retravailler un peu. Jouissance extrême de l’écriture du dernier mot du premier jet. Il reste évidemment une bonne demi-douzaine de problèmes pas tout à fait résolus, voire même non résolus du tout. Je laisse reposer ce premier jet en gardant en tête les petits soucis qui restent. C’est durant ce temps de pause que je me rends compte à quel point un texte que je suis en train de travailler peut m’habiter inconsciemment. La vie quotidienne résout quelques problèmes : un mot entendu dans une conversation se transforme en super trouvaille pour traduire un mot avec lequel on a lutté pendant des heures. Et puis des flashs parfois qu’il faut noter tout de suite au risque d’oublier la bonne idée qu’on vient d’avoir. Mais le mieux je trouve, c’est parler à quelqu’un du texte qu’on est en train de traduire, lui raconter la trame de l’histoire, lui dire les petits soucis qu’on rencontre, les solutions qu’on a trouvé. Cela permet de se détacher un peu du texte, de ne plus en être obsédé. C’est là que commencent les relectures, avec cette distance par rapport au texte original et à notre première traduction « grossière ». On affine, on change, on revient à l’idée de départ, on ajoute des petits mots par ci par là, qui rendent le texte plus français, plus lisible, plus logique. Et il faut aussi trancher sur les hésitations qu’on a eu auparavant, prendre une décision, faire un choix. C’est cela la traduction, des choix. Choisir perpétuellement : tel ou tel mot pour traduire, traduire ou non un toponyme ou un prénom ou une référence culturelle, mettre un point, une virgule ou un point-virgule, se soulager d’un mot passe partout qui n’apporte rien au sens ou le conserver, changer la syntaxe ou lui laisser sa couleur d’origine… Il faut aimer se mettre le cerveau en bouillie pour satisfaire, d’une part à ses propres exigences, et d’autre part à celles du futur lecteur. Lui, qui devra lire le texte de manière fluide, comme si le texte qu’il était en train de lire était l’original.

1 commentaire:

Tradabordo a dit…

Oui, que de travail !