mardi 9 novembre 2010

Entretien avec Nathatlie Mège, Traductrice (anglais), réalisé par Julie Sanchez

À propos de la photo (Julie) : « Nathalie Mège m'a dit : "Je vous joins une photo de ma table de travail, à défaut de ma tête, que je n'aime pas me voir sur les sites web…" »

Nathalie Mege est traductrice littéraire de l’anglais vers le français.
Elle a traduit (entre autres) Insoupçonnable de Lynda La Plante, Les Délaissés de Richard Van Camp et L'Oiseau Moqueur de Sean Stewart.
Elle a gentiment accepté de répondre à mes questions que voici…

1) Comment en êtes vous venue à la traduction ?
Enfant, j'ai toujours voulu comprendre et traduire les paroles de chanson en anglais, et j'écrivais déjà. Plus tard, ayant beaucoup de temps libre en licence, j'ai commencé à écrire et traduire pour des fanzines. Un auteur que j'adorais, James Tiptree Jr, venant de se suicider, j'ai traduit pour mon plaisir (et pour prolonger quelque chose de ma relation avec ses textes, j'imagine) ses deux dernières novellas parues dans une revue américaine. Puis, le déclic a été ma rencontre avec ma condisciple de l'époque, Nathalie Duport Serval, elle aussi étudiante en licence d'anglais à Bordeaux, mais déjà traductrice pour la revue Fiction. Nathalie m'a introduite auprès de la rédaction et m'a ainsi permis de proposer ces deux textes de Tiptree, qui ont été acceptés.

2) Quelle a été votre première traduction et quel souvenir en gardez-vous aujourd'hui?
Le premier ouvrage que j'ai "traduit" était un roman sentimental pseudohistorique sans intérêt pour moi, sinon qu'il fallait couper 40% du texte alors que l'intrigue se déroulait sur vingt ans et que l'héroïne irlandaise pondait une flopée d'enfants. Cet aspect là des choses (trancher dans le texte) s'est révélé assez jouissif puisque j'ai pu supprimer plusieurs personnages secondaires inutiles et que j'ai carrément dû imaginer toute une scène pour que l'intrigue tienne debout malgré tout. Mais c'est sans doute un cas extrême en traduction et je ne recommanderais ce genre d'expérience à personne.
Le premier ouvrage que j'ai traduit sans avoir à le charcuter "pour son bien" à la demande de l'éditeur était un polar de Sandra Scoppettone, pour la collection des Noirs de Natalie Beunat au Fleuve Noir. Le souvenir que j'en garde, c'est que je ne trouvais pas de titre à proposer alors que j'aimais beaucoup ce quatrième opus de la série des Lauren Laurano. Et puis, au dernier moment, à deux heures du matin, la veille de la réunion avec les commerciaux, je me suis réveillée sur une trouvaille : "Toute la mort devant nous", et j'ai laissé un message sur la boîte vocale de Natalie. Tout le monde a aimé et mon unique proposition de titre a été adoptée.

3) Comment choisissez-vous les textes que vous traduisez ?
On ne choisit pas toujours. Parfois, on a cette liberté, parfois pas… pour des questions d'amitié, ou d'argent, par exemple. Mais quand j'ai toute latitude pour répondre, je me fie à mon plaisir de lectrice, et à mon intuition : si des formulations françaises ne me viennent pas naturellement quand je lis l'anglais, c'est signe que je risque de m'arracher les cheveux sur ce texte même si je l'aime. Or, je tiens à mes cheveux. :-)

4) Quel est votre rapport avec les auteurs ?
Bon, voire très bon, en général. Il arrive que certains aient du mal à comprendre notre travail et vivent mal nos questions, mais, dans mon expérience, c'est assez rare, du moment que l'on attend la toute fin de la traduction pour synthétiser nos interrogations par courriel.
En dehors de cet aspect de travail de compréhension du texte, les relations suivent tous les cas de figure de l'amitié littéraire : coups de foudre, franches rigolades, parfois paranoïa ou bouderie. De ce point de vue, une relation auteur / traducteur ressemble beaucoup à une relation auteur / auteur.

5) Et au niveau de l'édition, quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Je pars du principe que 1) ce métier n'est pas assez rémunérateur pour m'obliger à bosser avec des gens dont je n'admire pas le travail et dont je n'apprécie pas la personnalité, et 2) nous sommes là pour collaborer dans l'intérêt du texte. Résultat, en général, ça se passe bien.

6) Quels sont vos outils de travail lorsque vous traduisez ?
MacMini sous Léopard, clavier et souris sans fil, écran de 21 pouces, navigateur Camino, GlimmerBlocker pour l'antipub sur le Net, Dropbox pour la sauvegarde, Evernote pour les prises de notes, Spotlight (outil de recherche du Mac qui plonge dans les glossaires que j'ai amassés sur mon disque dur au fil des années), ainsi que divers plugins de ma fabrication qui permettent des recherches personnalisées sur de nombreux sites de référence ou de vocabulaire anglais, français et anglais-français. Plus des ajouts spécialisés, souvent sous forme de livre ou, mieux, d'ebook, en fonction de chaque ouvrage à traduire.

7) Lorsque vous rencontrez une difficulté, que vous êtes bloquée, comment-vous en sortez-vous ?
Je vais me préparer un thé et si l'obstacle résiste :
en hiver, je rentre du bois,
en été, je vais piquer une tête,
à la mi-saison, je me balade.

8) Qu'aimez-vous le plus dans votre métier ?
En dehors de mon plaisir de lectrice et du fait de le retransmettre : n'avoir pas d'horaires de bureau, pouvoir sacrifier à ma sieste quotidienne et ne pas devoir habiter en ville. Mes chats aussi sont ravis.

9) Exercer ce métier a-t-il fait de vous une lectrice différente ?
Si l'on peut dire… Comme beaucoup d'auteurs, qui expliquent qu'en période d'écriture, la voix d'un autre auteur brouillerait la traduction sur le papier de la leur, je dois me concentrer sur la voix de quelqu'un d'autre et faire des acrobaties pour me l'approprier. Résultat : je lis pour l'essentiel entre deux contrats. (Sauf la poésie, que je peux avaler à n'importe quel moment de l'année et de la journée.)
Quant au roman que je lis pour le traduire, lors de la deuxième lecture, préalable au travail de traduction proprement dit, je le regarde plutôt avec un œil d'auteur que de simple lectrice, pour mieux comprendre sa construction au-delà de son ton et de son style. Mais il est vrai que je me lance dans l'écriture de roman ces temps-ci…

10) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice ?
Des fous rires de relecture d'épreuves avec des éditeurs complices.

11) Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
Si vous n'avez pas la fibre du livre et de la littérature, ne vous dirigez pas vers la traduction littéraire, qui implique un statut d'intello précaire.

1 commentaire:

Hélène a dit…

Merci à Nathalie Mège pour ses réponses liées au métier de traducteur.

Hélène (apprentie traductrice, avide de bons conseils et informations sur la profession).