mardi 9 novembre 2010

Entretien avec Serge Ewenczyk, éditeur (çà et là), par Vanessa Canavesi


Voici l'entretien que j'ai réalisé auprès de l'éditeur Serge Ewenczyk. Sa maison d'édition (çà et là) publie des adaptations de bandes dessinées étrangères (ou plutôt de "romans graphiques", terme sur lequel je l'ai interrogé).
J'ai opté pour cette maison-là car sa ligne éditoriale est essentiellement tournée vers l'adaptation et la traduction. Il ne s'agit pas de traduction littéraire au sens strict, mais j'ai jugé les contraintes posées par l'adaptation de bande dessinée intéressantes à explorer.

Quand et comment est née votre maison d'édition ?
Les éditions çà et là ont été créées en mai 2005 et les premiers ouvrages sont parus en octobre de la même année. J'ai créé cette structure après avoir travaillé une quinzaine d'années dans l'audiovisuel, dont cinq comme producteur de dessins animés. Un peu fatigué par la lourdeur du processus de financement et de production du dessin animé, j'ai décidé de me lancer dans l'édition indépendante, en me spécialisant dans la bande dessinée étrangère. J'ai toujours lu beaucoup de bande dessinées, notamment américaine, et je voyais que certains romans graphiques restaient inédits en France, d'où l'idée d'en acheter les droits d'adaptation pour les proposer au public français.

Pouvez-vous me parler du « roman graphique » ? En quoi est-il différent de la bande dessinée ?
Le terme de « roman graphique » est souvent utilisé dans la presse pour qualifier la bande dessinée qui s'adresse à un lectorat plutôt adulte, et plutôt lecteur de littérature générale. En d'autres termes, le « roman graphique » est devenu un terme galvaudé, une façon un peu intello de parler de bande dessinée. Mais le terme a des racines historiques précises, qui se situent en 1978, aux Etats-Unis, quand le dessinateur Will Eisner a utilisé pour la première fois cette dénomination pour son livre « Un contrat avec Dieu ». Le projet de Eisner était de s'adresser à des lecteurs intéressés par son projet d'histoire semi autobiographique sur l'émigration juive aux États-Unis au début du 20eme siècle et il voulait donc à tout prix se démarquer de la bande dessinée américaine grand public, appelée « comic books » aux Etats-Unis. Le terme a été ensuite utilisé pour Maus de Spiegelman, et tout le mouvement de la bande dessinée indépendante à partir des années 1990 en France.

Qu'est-ce qui motive votre choix de publier essentiellement des adaptations de bandes dessinées étrangères ?
Cela correspond à deux envies. D'une part, mes goûts en tant que lecteur, je suis beaucoup plus amateur de bande dessinées étrangère que française. Pour moi les grands de la bande dessinée sont Will Eisner, Robert Crumb, Hugo Pratt, Chris Ware, Art Spiegelman, j'en passe et des meilleurs. D'autres part, je voulais que les éditions çà et là se démarquent des nombreuses maisons d'édition de bandes dessinées (on en compte près de 300), et le fait de se spécialiser dans le domaine étranger est une spécificité de çà et là.

Quels liens entretenez-vous avec les auteurs, comment les sélectionnez-vous ?
Je choisi les auteurs et leurs ouvrages en fonction de l'adéquation de leurs projets avec la ligne éditoriale des éditions çà et là, qui privilégie les histoires ancrées dans le réel, qu'elles soient autobiographiques ou romancées. Il s'agit soit d'auteurs qui me contactent directement, soit de livres que je trouve à l'occasion de déplacement sur des foires ou conventions à l'étranger ou bien en surfant sur des sites, blogs, pages facebook etc.

Avez-vous vos traducteurs habituels ou est-ce du démarchage ? Quels rapports entretenez-vous avec ces traducteurs ?
Je travaille avec une petite équipe de traducteurs constituée au fur et à mesure du développement des éditions çà et là. J'ai dès le départ recherché des traducteurs dont le travail d'adaptation de bandes dessinées étrangères m'intéressait, comme Sidonie van den Dries ou Fanny Soubiran, qui traduisent une grande partie des ouvrages de langue anglaise que je publie. Il peut également s'agir de traducteurs presque spécialisés dans un sous-genre, comme Jean-Paul Jennequin qui est un érudit de l'histoire de la bande dessinée américaine et traduit pour nous les travaux de Harvey Pekar et Eddie Campbell. Quand il s'agit de langues moins répandues (finnois, hébreu etc.), je demande conseil à des éditeurs de littérature étrangère ou bien il m'arrive d'être sollicité par des traducteurs.

Comment se déroule le travail d'adaptation ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les traducteurs, et par vous-même ? (En particulier, pouvez-vous conserver la plupart du temps les titres dans leur traduction littérale ?)
Au delà des difficultés usuelles rencontrés par tout traducteur d'un texte littéraire, la bande dessinée présente quelques spécificités qui rendent l'exercice encore un peu plus difficile. D'une part, contrairement à la traduction en littérature générale, le traducteur de bande dessinée est contraint par la place disponible : chaque phrase ou paragraphe qui tient dans une bulle dans la version originale doit, une fois traduit, tenir dans la même bulle. C'est une grande contrainte, notamment dans le cas de la traduction de l'anglais vers le français. Par ailleurs, certains dessinateurs de bandes dessinées utilisent beaucoup d'onomatopées, ce qui n'est pas toujours facile à traduire.

Comment voyez-vous le métier d’éditeur aujourd'hui ? Quelles sont selon vous les qualités nécessaires à un bon éditeur, à une bonne maison d'édition ?
Dans le contexte actuel, le métier d'éditeur indépendant est particulièrement difficile. Les gens achètent de moins en moins de livres, les libraires n'ont plus le temps de laisser les livres s'installer, toute la chaîne du livre est touchée, mais nous espérons tous que ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Ce métier reste avant tout un métier de passionnés, qui sont plus intéressés par le livre que par les comptes d'exploitations, même s'il est difficile de perdurer sans porter un minimum d'attention à la gestion de la structure.
Selon moi une bonne maison d'édition est celle qui développe un catalogue cohérent, accompagne ses auteurs sur la durée, et travaille en bonne intelligence avec l'ensemble des intervenants des circuits du livre, et notamment les libraires.

Quels sont vos rapports avec les libraires ?
Je suis très attentif à développer une relation étroite avec les libraires qui sont les passeurs de nos ouvrages auprès des lecteurs. Depuis la création des éditions çà et là, nous essayons de visiter le plus fréquemment possible les libraires pour leur parler de nos sorties, leur donner des services de presse afin qu'ils puissent lire les livres avant leur sortie, et de manière générale pour les tenir informés de la vie des éditions çà et là.
Les libraires généralistes mais aussi un certain nombre de libraires des Fnac et de librairies spécialisées en bandes dessinées soutiennent depuis le début notre catalogue et leur travail est indispensable à la réussite de nos livres.

Comment envisagez-vous l'évolution des éditions çà et là ?
Je ne souhaite pas développer outre mesure les éditions çà et là parce que je veux pouvoir suivre chaque livre, de la traduction à la présentation à la presse, en passant par l'impression. C'est le côté artisanal qui me séduit et me motive. De ce fait, nous ne publions pas plus de 10 ou 12 ouvrages chaque année.


Pour en savoir plus sur les éditions çà et là :
le site : http://www.caetla.fr
et le blog : http://infoscaetla.over-blog.com

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