jeudi 15 novembre 2012

Exercice d'écriture 5 – par Manon Tressol

« Lettre à mon juge »

Cher Monsieur le Juge,

Suite à votre dernier courrier, je ne peux résister à vous répondre avant la date de notre rencontre. En effet, vos remarques ont provoqué chez moi une profonde indignation. Quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que vous posiez votre avis sur les aspects les plus intimes de ma personnalité.
Je pense qu’il convient alors de redéfinir les limites de votre rôle. Devez-vous être juge de mes actes ou de mes pensées ?
Certes, je suis d’une misanthropie débordante, mais je n’en reste pas moins courtois envers mes amis et voisins, qui pourtant achètent du bio en grande surface et crachent sur la société de consommation en commandant des sushis livrés par un smicard partiel qui tente de payer ses études, c’est-à-dire ses bières avec les copains. Ces mêmes amis peuvent critiquer (mais ils ne le regardent jamais, bien entendu) Arthur et Castaldi, tout en vous assurant que non, il n’y a vraiment rien à voir à la télé, d’ailleurs on ne la regarde plus nous, et au fait, t’as vu la pub trop drôle avec le gamin qui tombe.
Que voulez-vous, Monsieur le Juge, j’essaye d’être humain, mais lorsqu’une personne âgée, que l’on aime à définir comme personne à respecter, me passe devant pour prendre la meilleure place assise sans voir ma béquille ni la canne de celui qui, encore plus vieux, la suit à petits pas, je me dis : vieille conne ! Et de l’entendre débattre sur la condition de notre pays, qui oh ! mon dieu, part à la dérive et court un grave danger avec ces jeunes musulmans partout, et vous savez, leur religion prône la violence ! Ah ça, c’est sûr, il y en a de plus en plus de ces terroristes, et ils mettent n’importe quoi dans la tête des jeunes. Comment ? Raciste ? Oh ! Vous exagérez toujours, vous, les jeunes.
Cher Monsieur le Juge, j’ai tenté de me cultiver pour parer à ces idioties, mais lorsque j’ai vu que même les plus grands journaux « de l’élite » avaient tous le même son de cloche, qui bizarrement résonne comme celui des plus grands lobbys de ce monde, je n’ai pu que m’indigner. Quelle, alors, n’a pas été ma déception quand, m’indignant sur mon continent démocratique, j’ai vu que l’on ne m’écoutait pas, ni moi, ni mes milliers d’autres copains, et qu’on commençait à m’en empêcher, en remettant ainsi en cause le fameux « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». J’ai pensé à fuir, mais où ? Mon cher juge, où fuir ? Commençant à douter de mes capacités d’optimisme, j’ai tenté de relativiser.
Oui, ma condition est bien confortable, avec un toit, des voisins, l’eau chaude en hiver et même des abeilles qui butinent encore les fleurs. Pas de guerre, pas d’épidémie, pas d’ouragan, pas de tsunami, pas de catastrophe nucléaire, pas de famille décimée, torturée ou gazée, pas de parti unique,  pas de règne des armes ni de la drogue, pas de famine,  pas de pénurie, pas de traumatisme identitaire, pas de peine de mort, pas (encore) de montée des eaux, pas (trop) de censure, pas (trop) de corruption. Me voilà bien ravi de ma condition. Mais comment ne pas en vouloir à ceux qui n’aident pas, que dis-je, ceux qui provoquent ou enfoncent la situation des non chanceux de ce monde ?
Pourquoi me juger sur ma misanthropie ? Que puis-je à l’hypocrisie,  à la politique politicienne,  à l’entreprenariat cupide, au requinisme de la grande et haute finance, au bafouement des droits humains ? Rien. Cher Monsieur le Juge, ce n’est pas moi qu’il faut condamner. Cher Monsieur le Juge, vous vous trompez. Cher Monsieur le Juge, plutôt que de vous obstiner sur mes sentiments négatifs, observez le monde, et jugez plutôt.

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