jeudi 15 novembre 2012

Exercice d'écriture 5 – par Elise Poullain

« Lettre à ma juge »

Madame la juge,

Je vous écris car la justice française, dont vous avez été, pour moi, l’incarnation, me déçoit de jour en jour. Je ne vous incombe pas la faute, j’ai été bien trop naïf de penser que je pouvais avoir confiance en vous, et l’institution que vous représentez. Mais quand même…
Que vous nous condamniez à payer une amende, cela est évidemment normal, et nous assumons les conséquences, aussi importunes soit-elles. Mais ajouter à cette condamnation, une somme aussi faramineuse comme « préjudice moral », pour la simple raison que les vieux grincheux qui nous servent de voisins aient les moyens de se payer une avocate douée pour l’emphase et l’exagération,  cela me révolte. Quel préjudice avons-nous donc causé, l’espace d’une soirée, qui justifierait que nous soyons à découvert pour les six prochains mois ? Ce n’est pas parce que nous n’avons pas d’avocat que nous n’avons rien à dire. Vos oreilles semblent être dotées d’un filtre, un videur auditif qui sélectionne les propos dignes d’être pris en considération. Et que peuvent bien avoir à raconter trois petits étudiants… Rien qui ne vaille la peine de leur accorder votre précieuse attention, naturellement.
Et que dire des cas nous précédant… Condamner une jeune femme handicapée à quatre-vingt pour cent à payer une énorme amende parce qu’elle a craché sur une vendeuse qui riait ouvertement de son handicap et qui l’insultait chaque fois qu’elle passait devant son magasin (à savoir tous les jours), cela vous semble juste ? Et qu’un homme, produisant des nuisances sonores à longueur de journée, et se permettant d’uriner à plusieurs reprises sur la porte de ses voisins, s’en sorte avec une petite amende dérisoire en comparaison, cela vous semble équitable ?
Je voulais donc vous demander quelle est votre conception de la justice, parce que lors de cette après-midi, décevante, certes, mais des plus instructives, je n’ai tout simplement pas compris. Un schéma paraissait pourtant se dessiner : seuls les avocats étaient écoutés, et seuls les clients ayant les moyens d’engager un avocat pouvaient, non seulement se permettre d’être absents, mais avoir l’assurance que leurs intérêts allaient être défendus, à tort ou à raison ; même si la raison brillait par son absence dans la salle de ce tribunal.
Avec tout le respect que je vous dois, mais que je ne vous témoigne pas, je vous prie d’accepter les répercussions de votre conduite immonde qui finiront par vous accabler, je l’espère.
Odieusement,
Un condamné plus tellement anonyme. 

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