samedi 12 février 2011

Exercice d'écriture : « Ascenseur », par Olivier Marchand

Dans la poche droite de mon pantalon, mes mains moites caressent nerveusement les billets froissés.
Je monte avec quelque difficulté les quelques marches du perron et franchis, le cœur battant, la porte d'entrée de l'immeuble. Au troisième étage, se trouve celle qui détient la clé, symbole de ma nouvelle vie, de ma naissance en tant qu'adulte. La plupart de mes amis ont déjà mis la main dessus, ils ont déjà ouvert la porte et sont passés de l'autre côté. Aujourd'hui, c'est mon tour. Et pour cette grande occasion, j'ai mis les bouchées doubles : j'ai rasé le léger duvet qui commençait à naître au dessus de ma lèvre supérieure, revêtu mes plus beaux habits et réussit à dompter, grâce au peigne paternel et à une patience sans faille, ma chevelure rebelle.
Les jambes tremblantes, je ne me sens pas le courage de monter à pied les trois étages qui nous séparent, aussi décidé-je de prendre l'ascenseur. Après tout, il serait peut-être judicieux de garder ses forces pour l'affronter. J'écarte d'une main la grille de fer et m'engouffre dans le caisson. Avant de presser le petit bouton doré qui me déposera à l'endroit désiré, je jette un dernier coup d'œil à mon reflet dans le miroir : un garçon dans la fleur de l'âge, pas un ange de beauté, mais pas trop mal non plus, des petits yeux noisettes malicieux, des traits réguliers, des cheveux aile-de-corbeau et un corps bien dessiné, le résultat n'est pas trop vilain.
Après cette petite vérification esthétique, je me décide à appuyer sur le bouton. Dans un fracas métallique, la cage se met en route et commence à courir le long du câble. L'ascenseur et le stress qui m'envahit, dans un synchronisme parfait, montent lentement, mais sûrement. Est-ce que l'argent difficilement gagné, à la sueur de mon front, suffira à payer le prix du passage ? Est-ce qu'il faudra que je lui parle ? Est-ce que, si tel est le cas, je saurai trouver les mots ?
Les questions à peine posées resteront sans réponse car un tintement cuivré m'avertit que je suis arrivé. Mes bras tétanisés par l'appréhension réussissent tant bien que mal à faire coulisser la grille de fer mais, avant de poser le pied sur le pallier, je prends le temps d'inspirer profondément afin d'évacuer les doutes, les incertitudes et les tergiversations. L'heure de fouler les planches a sonné et je saurais ne pas faire marche arrière. L'ardeur retrouvée, je m'extirpe de l'élévateur. C'est alors que je l'aperçois.
Couverte d'un simple peignoir rose, elle m'attend dans l'embrasure de la porte. Ses cheveux blonds, qui coulent jusqu'à sa poitrine, sont d'un blond étincelant ; ses lèvres, peintes en rouge, sont une invitation au péché ; ses yeux, ornés d'une ombre violette, sont des armes capables de mettre à mort quiconque croise son regard. D'un geste assuré de la main, elle m'invite à la rejoindre. Elle me regarde m'approcher, puis, lorsque j'arrive enfin à sentir les lourdes effluves de son parfum, elle me délaisse, s'éloigne de moi et avance dans le couloir de cette bonbonnière bigarrée. Prenant mon courage à deux mains, je l'imite et pénètre dans le boudoir qui recueillera le fruit de mes premiers émois. Je referme, en la faisant claquer, la lourde porte de merisier. Je suis entré dans l'immeuble en tant que jeune innocent ; quand j'en sortirai, dans quelques instants, je serai différent.

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