vendredi 13 mars 2009

Un cobaye à traiter avec bienveillance

En photo : underwood universal par Uggla

Lors de la dernière séance de traduction collective, nous commencions à travailler ce texte (c'est à peine si nous avons dépassé les premières lignes) quand nous avons reçu la visite inattendue de Marina, une ancienne étudiante de Bordeaux 3 (brillamment reçue l'année dernière au concours de l'agrégation), qui venait en effet pointer le bout de son nez chez nous… car elle aurait bien envie d'intégrer le groupe à la rentrée de septembre 2009. En voilà une bonne recrue ! Nous l'avons donc accueillie comme nous accueillons tous les "étrangers" (je dois admettre que les apprenties présentes ce jour-là lui ont fait l'article avec autant de conviction et de persuasion qu'un vendeur de voitures dans une de ces séries américaines du goût de Nathalie) et notre future amie n'a pas pu repartir sans un peu de travail sous le bras : la version de Trapiello à faire en une semaine. Elle m'a envoyé hier le résultat de ses réflexions (avec ce petit mail d'accompagnement : « Bonjour à toutes, Voici ma proposition de traduction, j'attends avec impatience vos remarques...Soyez indulgentes pour la reprise!!!!! Dur dur de s'y remettre, je n'ai pas pu y passer trop de temps! Trêve d'excuses, je suis prête pour le Jugement Final... »), que je soumets à votre lecture.

***

Le texte

Paco tardó en hacerse una idea aproximada del tiempo transcurrido desde que se había sentado a escribir esa mañana. Se veían los restos de un bocadillo de tortilla de patata en el suelo, en un platito, en el mordisqueaba el gato Poirot. Tenía gato desde que se había saparado de Dora. En la mesa había también medio vaso de whisky, todo lo que quedaba después de que se le cayera la botella al suelo.
Cuando trabajaba se metía tanto en los personajes y en la acción que no era capaz de distinguir lo que sucedía en la realidad, y lo que se formaba en los formidables y apoteósicos trasiegos de su cabeza parecía ir tomando cuerpo de realidad a medida que escribía.
Al derramarse el whisky había manchado unas cuantas cuartillas, pero la mayor parte del líquido había ido a parar a la alfombra y al tillado. Pero ¿ qué era un whisky cuando dos hombres estaban a punto de matarse de una manera tan sanguinaria ?
— ¿ Paco ?
— Ya voy, gritó Paco desde el fondo de la casa.
Se levantó y aún continuó un rato, de pechos, sobre la máquina de escribir, leyendo en el papel que asomaba en el carro.
Una vieja Underwood, alta, pesada, negra. Un verdadero catafalco a prueba de terremotos y de argumentos. Para él, la vieja Underwood era lo mismo que para Delley Wilson su viejo Smith & Wesson de calibre especial. Paco en cambio no había visto un Smith & Wesson en su vida, sólo en láminas, en un libro. Tenía varios sobre armas de fuego. ¿ Cuántos cientos de hombres habían muerto entre aquellas teclas, picados por el golpe certero de las matrices, cuántas cabezas habían rodado bajo aquellas cuchillas implacables, cuántas coartadas habían quedado desvanecidas en el fuego cruzado de la q y la m, cuántos asesinos, malhechores, barbianes, belitres, malsines, rufianes, bergantes, granujas, truhanes, bribones y bellacos habían dado cuenta a aquel cilindro encauchado de todas su fechorías, cuántas mujeres se habían evaporado igualmente de los brazos de quienes no habrían tenido otra recompensa en su lucha contra el crimen que ese efímero, pasajero y subyugante minuto de amor ? ¿ Cuántos caballeros andantes del crimen no habían salido de aquella inamovible montaña de sueños ?
— ¿ Abres Paco ?
— Ya.
Seguía leyendo las últimas frases que acababa de escribir. Se hubiera dicho que temía que aquellos Delley y Olson actuaran por su cuenta mientras iba a abrir la puerta, y cometieran cualquier desaguisado que echase por tierra el trabajo de las dos últimas semanas.

Andrés Trapiello, Los amigos del crimen perfecto, 2001

***

La traduction de Marina :

Paco tarda à se faire une idée approximative du temps écoulé depuis qu'il s'était assis pour écrire ce matin-là. On voyait les restes d'un sandwich à l'omelette espagnole par terre, sur une petite assiette, que le chat Poirot mordillait. Il avait un chat depuis qu'il s'était séparé de Dora. Sur la table il y avait aussi un demi-verre de whisky, tout ce qui restait après que la bouteille était tombé par terre.
Quand il travaillait, il s'identifiait tellement à ses personnages et plongeait tellement dans l'action qu'il était incapable de distinguer ce qui se passait dans la réalité, et ce qui se formait dans les formidables et triomphaux tourbillons de sa tête semblait prendre vie au fur et à mesure qu'il écrivait.
Le whisky, en se renversant, avait taché quelques feuilles, mais la plupart du liquide s'était répandu sur le tapis et le parquet. Mais qu'était un whisky alors que deux hommes étaient sur le point de s'entre-tuer d'une manière aussi sanguinaire?
− Paco?
− J'arrive, cria Paco depuis le fond de la maison.
Il se leva et continua encore un moment, face à sa machine à écrire, lisant la feuille où apparaissait la voiture.
Une vieille Underwood, haute, lourde, noire. Un véritable catafalque à l'épreuve des tremblements de terre et des intrigues. Pour lui, la vieille Underwood, c'était la même chose que pour Delley Wilson son vieux Smith & Wesson de calibre spécial. En revanche, Paco n'avait jamais vu un Smith & Wesson, sauf sur des gravures ou dans un livre. Il en avait plusieurs sur les armes à feu. Combien de centaines d'hommes étaient morts sous ces touches, hachés par le coup précis de la matrice,
combien de têtes avaient roulé sous ces lames implacables, combien d'alibis s'étaient évanouis entre les échanges de coups de feu du q et du m, combien d'assassins, de malfaiteurs, de gaillards, de coquins, de fourbes, de misérables, de vauriens, de fripouilles, de truands, de canailles et de scélérats avaient raconté toutes leurs aventures à ce cylindre en caoutchouc, combien de femmes étaient tombées aussi dans les bras de ceux qui n'auraient eu d'autre récompense dans leur lutte contre le crime que cette éphémère, passagère et éblouissante minute d'amour? Combien de chevaliers errants du crime n'étaient pas issus de cette immuable montagne de rêves?
− Paco, tu ouvres?
− J'arrive.
Il continuait à lire les dernières phrases qu'il venait d'écrire. On aurait dit qu'il craignait que ces sacrés Delley et Olson agissent seuls alors qu'il allait ouvrir la porte, et commettent quelque sottise qui gâcherait son travail des deux dernières semaines.

***

De la part de Nathalie :
(mail d'accompagnement : « Je me suis penchée sur la traduction envoyée par Marina et je ne sais pas ce qui m'a pris… j'ai commencé à écrire quelques commentaires; mais mes remarques s'allongeant, je me suis dit qu'il valait mieux que je passe par Word plutôt que par la rubrique « commentaires » du blog. Et puis, j’ai pensé que ce serait plus juste que tu publies aussi ma traduction, afin que Marina se rende compte que je ne suis pas plus douée qu’elle. »)

Bonjour Marina,

J’étais là le jour où tu nous as rendu visite et je trouve que tu as parfaitement relevé le défi lancé par Caroline. J’ai commencé à lire ta traduction cette après-midi et j’ai eu envie de partager quelques réflexions, en te faisant part, notamment, de mes doutes ou de mes interrogations sur tel ou tel point.
Tout ce que j’ai pu souligner n’a pas valeur de vérité absolue ; j’ai peut-être même eu tort de te proposer telle traduction plutôt que telle autre… Tant que le texte ne sera pas passer par le tamis de l’atelier collectif et surtout, tant qu’il n’aura pas reçu la bénédiction de Caroline, il restera perfectible.
Tout ça pour te dire que les quelques remarques que j’ai pu faire n’ont pour but que de susciter le dialogue, la réflexion, l’échange… S’il y a des choses sur lesquelles tu n’es pas d’accord, n’hésite pas.

Amicalement,
Nathalie

Propositions de traduction :

- là, je n’ai aucun mérite - c’est Caroline qui nous l’a dit en début de séance : « tarder » étant un hispanisme, il vaut mieux traduire « tardó en » par « il mit un bon moment à » ;
- là encore, je n’aurai aucun mérite –etc. : « una idea aproximada » sera rendue par « une idée, approximative, » -tous les étudiants de Caroline ayant été sensibilisés, à plus ou moins forte dose, à l’importance stratégique de la virgule…
- je ne dirai rien sur « l’omelette espagnole » (je t’invite à lire le post que j’ai consacré à ce plat typique, et qui devrait être publié samedi ou dimanche) ;
- ah, je suis contente que tu aies traduit « el gato Poirot » par « le chat Poirot », parce que je l’avais traduit de la même manière en cours et Caroline s’est moqué de moi… Il paraît qu’on dit plutôt « Poirot, le chat »…
- je pense qu’il s’agit d’une coquille mais il ne faut pas oublier le –e à la fin du participe : « la bouteille était tombée » ;
- je ne sais pas si tu as cherché mais l’adjectif « apothéotique » existe, aussi étrange que cela puisse paraître (j’ai vérifié dans le Littré) alors je l’ai utilisé ;
- tu traduis « parecía ir tomando cuerpo » par « semblait prendre vie » alors qu’il vaudrait mieux dire « semblait prendre corps » dans la mesure où Paco finit par incarner les personnages qu’il a créés ;
- on pourrait peut-être traduire « era » dans « pero qué era un whisky cuando… » par un autre verbe que le verbe « être » : par exemple, « mais que pouvait bien représenter un whisky quand… » ;
- quand tu traduis « leyendo en el papel que asomaba en el carro », je pense que tu n’as pas compris que « el carro » ne désigne pas une voiture mais le chariot de la machine à écrire ;
- il me semble que « sólo en láminas, en un libro » désigne les gravures insérées dans un livre ; aussi, tu n’as pas besoin de la conjonction « ou » ;
- j’avoue que je n’ai pas osé traduire « picados » par « hachés » (si je l’avais fait, j’aurais ajouté « menu ») : je me suis rabattue sur un verbe plus neutre, « frappés » (j’ai peut-être eu tort…) ;
- pourquoi ne pas traduire tout simplement « fuego cruzado » par « feu croisé » ?
- tu as choisi de traduire « fechorías » par « aventures » : ce n’est pas un terme assez fort ; mieux vaut utiliser « forfaits », puisque, comme le laisse supposer la liste terminologique qui précède, ce ne sont pas des enfants de chœur…
- peut-on traduire « se habían evaporado » par « étaient tombées (dans les bras de…) » ? : je me pose la question, parce que le participe « evaporado » fait écho à un autre participe, « desvanecidas », situé 3 lignes plus haut dans le texte : j’ai donc opté pour une traduction littérale ;
- pour ce qui est de l’adjectif « subyugante » (qui implique l’idée de domination et surtout d’aliénation), il vaudrait mieux le traduire par « envoûtante » ou « subjugante » (que je n’ai pas trouvé dans le Littré mais dont l’usage est attesté sur le Web… ; j’espère ne pas avoir introduit de barbarisme…) ;
- j’adore ta traduction de « caballeros andantes del crimen » par « chevaliers errants du crime » : je tournais autour mais je n’arrivai pas à trouver la bonne expression ; j’avais choisi « chevaliers en croisade contre le crime » mais je sentais bien que je partais sur une autre référence culturelle que celle véhiculée par le texte espagnol ;
- de la même façon, je trouve que tu as très bien rendu le sens de « aquellos » ;
- par contre, je ne sais pas s’il fallait traduire « mientras » par « alors que » : j’ai choisi l’idée de simultanéité parce que la grande crainte de Paco, c’est de voir ses personnages prendre des initiatives dès qu’il aura le dos tourné.

J’attends tes remarques, et pour plus d’équité, je vais envoyer ma traduction à Caroline, afin qu’elle la publie sur le blog : tu pourras ainsi juger celle qui s’est permis de te juger !

Finalement, la proposition de traduction de Nathalie :

Paco mit un bon moment à se faire une idée, approximative, du temps qui s’était écoulé depuis qu’il s’était assis pour écrire ce matin-là. Les restes d’un sandwich à l’omelette de pommes de terre, que mordillait/mâchonnait Poirot, le chat, traînaient dans une soucoupe, posée à même le sol. Il avait un chat depuis qu’il s’était séparé de Dora. Sur la table, se trouvait également un verre de whisky à moitié vide : c’était tout ce qu’il restait, après qu’il eut renversé la bouteille.

Quand/dès qu’il travaillait, il se projetait avec une telle intensité dans les personnages et dans l’action/l’intrigue, qu’il n’était plus en mesure de percevoir ce qu’il se passait dans la réalité, et ce qui prenait forme dans les remous formidables et apothéotiques de son esprit semblait prendre corps/se matérialiser au fur et à mesure qu’il écrivait.

En s’écoulant, le whisky avait tâché quelques feuillets épars, même si la majeure partie du liquide avait fini sur le tapis et le plancher. Mais que pouvait bien représenter un whisky quand deux hommes étaient sur le point de s’entretuer de façon si sanguinaire ?

- Paco ?
- J’arrive, cria Paco, du fond de la maison.

Il se leva et continua encore un moment, la poitrine appuyée contre la machine à écrire, à lire la feuille de papier qui dépassait du chariot.

Une vieille Underwood, haute, lourde, noire. Un véritable catafalque à l’épreuve des tremblements de terre et des coups de théâtre. La vieille Underwood était, pour lui, ce que le vieux Smith et Wesson de calibre spécial était pour Delley Wilson. En revanche, Paco n’avait jamais vu de Smith et Wesson, sauf sur des gravures, dans un livre. Il en avait plusieurs sur les armes à feu. Combien de centaines d’hommes étaient morts sous ces touches, frappés par le coup millimétré des tiges de la marguerite, combien de têtes avaient roulé sous ces lames implacables, combien d’alibis s’étaient évanouis sous le feu croisé du q et du m, combien d’assassins, de malfaiteurs, de scélérats, de bélîtres/fourbes, de malandrins, de rufians, de voyous, d’aigrefins, de coquins et de marauds avaient rendu compte de tous leurs forfaits à ce cylindre en caoutchouc, combien de femmes s’étaient, de la même façon, évaporées dans les bras de ceux qui n’avaient eu d’autre récompense, dans leur lutte contre le crime, que cette éphémère, passagère et subjugante/envoûtante minute d’amour ? Combien de chevaliers en croisade contre le crime n’étaient pas sortis de cette inamovible montagne de rêves/songes ?

- Tu vas ouvrir, Paco ?
- J’y vais.

Il continuait de lire les dernières phrases qu’il venait d’écrire. On aurait dit qu’il craignait que les fameux Delley et Olson n’agissent pour leur compte pendant qu’il allait ouvrir la porte, et qu’ils ne commettent quelque maladresse qui aurait ruiner le travail des deux dernières semaines.

NB : j’ai parfois laissé 2 propositions de traduction parce que je ne sais pas laquelle est la plus juste (ni l’une ni l’autre, peut-être !).

***

Brigitte nous propose sa traduction :

Paco mit un certain temps à se faire une idée approximative du temps qui s’était écoulé ce matin-là depuis qu’il s’était assis pour écrire. On voyait, dans une soucoupe à même le sol, les restes d’un sandwiche à l’omelette aux pommes de terre, dans lequel mordillait le chat Poirot. Il avait un chat depuis qu’il s’était séparé de Dora. Sur la table, il y avait aussi un demi-verre de whisky : c’était tout ce qu’il restait après que la bouteille soit tombée par terre.
Quand il travaillait, il était tellement habité par ses personnages et tellement plongé dans le feu de l’action qu’il était incapable de distinguer le réel, et ce qui surgissait du formidable bouillonnement de son esprit en effervescence semblait prendre vie au fur et à mesure qu’il écrivait.
En se renversant, le whisky avait taché quelques feuillets, même si la plupart du liquide s’était répandu sur le tapis et le plancher. Mais que pouvait bien représenter un whisky quand deux hommes étaient sur le point de s’entretuer de façon aussi sanglante ?
- Paco ?
- J’arrive, cria Paco du fond de la maison.
Il se leva et continua encore un moment, penché sur le clavier, lisant la feuille qui émergeait du chariot de la machine.
Une vieille Underwood, haute, lourde, noire. Un véritable catafalque à l’épreuve de tous les tremblements de terre et de toutes les intrigues. La vieille Underwood était pour lui ce qu’était la vieille Smith & Wesson calibre spécial de Delley Wilson. Par contre, Paco, lui, n’avait jamais vu de sa vie une Smith & Wesson, sauf en gravure, dans un livre. Il avait plusieurs livres sur les armes à feu. Combien de centaines d’hommes avaient rendu l’âme sur ce clavier,hachés menu par le coup précis des touches ? Combien de têtes avaient roulé sous le couperet de ces lames implacables ? Combien d’alibis s’étaient évaporés sous le feu croisé du q et du m ? Combien d’assassins, de malfaiteurs, de gaillards, de vauriens, de misérables, de fourbes, de ruffians, de fripouilles, de canailles, de truands, de vauriens et de scélérats avaient rendu compte de leurs méfaits à ce cylindre de caoutchouc ? Combien de femmes s’étaient volatilisées de la même manière des bras de ceux qui n’avaient sans doute eu d’autre récompense, au cours de leur lutte contre le crime, que cette éphémère, passagère et envoûtante minute de plaisir ? Combien de chevaliers errants du crime étaient restés prisonniers de cette montagne de songes inamovible ?
- Tu ouvres, Paco ?
- Oui, j’arrive !
Il continuait à lire les dernières phrases qu’il venait d’écrire. On aurait dit qu’il craignait que les fameux Delley et Olson n’agissent dans son dos pour leur propre compte pendant qu’il irait ouvrir la porte, et qu’ils ne commettent quelque absurdité qui réduise à néant le travail des deux dernières semaines.

***

Odile nous propose sa traduction :

Il fallut un certain temps à Paco pour prendre approximativement conscience des heures qui s'étaient écoulées ce matin-là depuis qu'il s'était assis pour écrire . Dans une soucoupe posée à même le sol, on voyait les restes d'un sandwich à l'omelette de pommes de terre que mordillait Poirot, le chat. Il avait un chat depuis qu'il s'était séparé de Dora. Sur la table, se trouvait aussi un verre de whisky à moitié plein, tout ce qu'il restait après que la bouteille soit tombée par terre.
Quand il travaillait, il entrait tellement dans ses personnages et dans l'action qu'il était incapable de voir clairement ce qui se passait dans la réalité, et, ce qui se formait alors dans les formidables et grandioses tourbillons de son esprit semblait prendre corps au fur et à mesure qu'il écrivait.
En se renversant, le whisky avait taché quelques feuillets mais la plus grande partie du liquide avait fini sur le tapis et sur le plancher. Mais, que pouvait bien représenter un whisky alors que deux hommes étaient sur le point de s' entretuer d'une façon aussi sanguinaire?
- Paco?
- J'arrive, cria-t-il depuis le fond de la maison.
Il se leva et resta encore un moment, penché sur la machine à écrire, lisant la feuille qui dépassait du chariot.
Une vieille Underwod, haute, lourde, noire. Un véritable catafalque à l'épreuve des tremblements de terre et de toutes les intrigues. La vieille Underwood, c'était la même chose pour lui que le vieux Smith & Wesson de calibre spécial pour Delley Wilson. En revanche, Paco n'avait jamais vu un Smith & Wesson, seulement des illustrations, dans un livre. Il en possédait plusieurs sur les armes à feu. Combien de centaines d'hommes étaient morts entre ces touches, hachés par le coup précis des matrices, combien de têtes avaient roulé sous ces lames implacables, combien d'alibis s'étaient envolés sous le tir croisé du q et du m, combien d'assassins, de malfaiteurs, de durs à cuire, de coquins, de vauriens, de crapules, de canailles, de truands, de fripouilles et de scélérats avaient rendu compte de tous leurs forfaits à ce cylindre de caoutchouc, combien de femmes, de la même manière, s'étaient volatilisées des bras de ceux qui n'auraient eu d'autre récompense dans leur lutte contre le crime que cette éphémère, passagère et envoûtante minute d'amour? Combien de chevaliers errants du crime sortiraient encore de cette indestructible montagne de rêves?
- Tu ouvres, Paco?
- J'arrive.
Il continuait à lire les dernières phrases qu'il venait d'écrire. On aurait dit qu'il craignait que les célèbres Delley et Olson n'agissent dans son dos pour leur propre compte pendant qu'il irait ouvrir la porte et qu'ils ne commettent quelque sottise qui réduirait à néant le travail des deux dernières semaines.

7 commentaires:

Tradabordo a dit…

Chère Marina,
Tu auras remarqué que je publie en même temps la version de CAPES – l'épreuve ayant eu lieu aujourd'hui. Il ne faudra donc pas t'étonner si le gros des troupes se concentre dessus… Mais rassure-toi, nous ne t'oublions pas.

Tradabordo a dit…

Marina, comme il est plus facile de savoir qu'il y a du nouveau sur ta trad via une annonce par le biais des commentaires, voici… pour te signaler que Nathalie a fait un véritable travail de fourmi (c'est une private joke, qu'elle comprendra) sur ton texte. MERCI !!!!!!!! Je vais suivre de très près le dialogue qui, j'en suis certaine, ne manquera pas de s'engager entre vous.

Tradabordo a dit…

Brigitte, dans mon commentaire précédent, j'ai employé l'expression « dialogue autour d'une trad »… et d'un seul coup, je me suis dit : mais où est passée Brigitte ? Bizarre comme associations d'idées, non ?

Anonyme a dit…

Brigitte avait 6 heures de cours et des conseils de classe !
...et ces derniers temps, j'ai été tellement prise par les "butifarras" et les "cafés crème" que j'ai laissé filer cette belle occasion de débat...
Je pars au Salon du Livre...et je réfléchis à tout ça dans le train !!!

Sousou a dit…

Je viens mettre mon grain de sel dans vos propositions de traduction. j'ai une petite question : pourquoi traduire "tortillas de patatas": spécialité culinaire espagnole? Je vous cite à ce propos un commentaire de Caroline à ce propos. "Si nous devons traduire la langue de l'autre de telle sorte que le lecteur français la reçoive sans ces aspérités liées non pas au style d'un auteur mais aux particularités linguistiques – qui, en l'occurrence, lui conféreraient un caractère étrange, au sens de bizarre, néfaste à tous points de vues –, le texte doit rester un texte étranger.

Tradabordo a dit…

Même si ça me fait bizarre d'être citée ainsi – genre autorité absolue ! –, j'avoue être d'accord avec Elisabeth. Quand même l'omelette de pomme de terre et la tortilla de patata, c'est pas exactement la même chose. Des ingrédients identiques – ou presque certes, mais… mais… mais…

marina a dit…

me voilà!!Merci nathalie pour tes remarques...qui mettent en évidence quelques-unes de mes...boulettes!!!Je me penche sur ta trad demain soir!!Je vous embrasse