vendredi 1 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Le facteur a sonné », par Stéphanie Maze

En photo : Sonnettes #02
par BEC-Photofolio

Depuis peu, une partie de sa vie avait changé. Alors qu'il avait presque abandonné l'idée d'une rencontre, – son célibat faisant office de fidèle compagnon depuis une date qu'il aimait qualifier d'indéterminée afin de ne pas épuiser les mécanismes de sa mémoire – son chemin avait croisé celui de Bénédicte. Leur relation ne faisait que démarrer, elle n'était pas encore ternie par les rouages du temps. Ils s'étaient rencontrés grâce à des amis communs le mois dernier lors d'un vernissage. Les présentations habituelles débouchèrent sur une discussion enflammée à propos de peinture. L'artiste exposé leur rappela à tous deux Whistler qui s'avéra être le peintre favori de Bénédicte, ce point commun sembla de bonne augure à Martin. Ils partagèrent leur passion autour de plusieurs coupes de champagne, discutèrent de quel était, selon eux, son meilleur tableau. Martin ne parvenait à se souvenir s'ils avaient finalement tranché, l'alcool ayant eu raison de sa mémoire. Lors d'un instant d'audace au cours duquel il ne savait s'il avait finalement mis les formes, il lui demanda si elle accepterait de le revoir, proposition qu'elle accepta semble-t-il sans trop d'hésitation. Depuis les discussions filaient bon train, l'ennui ne faisait en aucun cas partie de leur quotidien. Au bout de plusieurs rendez-vous, il lui avoua l'angoisse qu'il avait ressenti au moment de lui ouvrir la porte pour la première fois, le temps qu'il avait consacré à trouver la tenue parfaite, composée finalement d'un jean et d'une chemise blanche à rayures vertes– il avait voulu éviter quelque chose de trop classique –. Et la question qui l'avait taraudé plus encore que le choix des vêtements, à laquelle il avait accordé une longue réflexion concernait la posture à adopter lorsqu'en ouvrant sa porte, il se retrouverait face à elle. Elle lui sourit, s'il savait combien elle y avait pensé elle aussi, les mains devant ou derrière le dos, les pieds joints ou écartés ? Ils accordaient tous deux une importance considérable à ces petits détails qui peuvent sembler anodins, insignifiants pour bien d'autres. Elle finit par lui confesser cette peur commune qui les avaient assaillis et elle lança l'idée que désormais, il leur faudrait trouver un accueil original chaque fois qu'ils se rejoindraient l'un chez l'autre, il approuva de suite, s'imaginant un tas de situations cocasses. Il l'avait déjà reçue en faisant le poirier, le grand-écart, en se déguisant en superman, mais aujourd'hui il avait décidé de sortir le grand jeu. Costume trois pièces, cravate, un modèle d'élégance, il n'allait tout de même pas se limiter à ça. Il se coiffa d'un chapeau haut de forme et s'apprêta à l'accueillir un genou à terre et une rose rouge dans la bouche.

Tout à coup, la sonnette retentit.

Il se mit en position. Ravi de l'effet de surprise, il leva les yeux et c'est le regard du facteur qui se posa sur lui.

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