jeudi 28 octobre 2010

Exercice d'écriture : «Rebondissement», par Stéphanie Maze

En photo : Navet infrarouge
par uef2007

Il ne pouvait y croire. La situation se répétait encore. C'était la huitième nouvelle qu'il entamait sans parvenir à la conclure. Sa manière de procéder était assez simple. Il commençait par trouver le thème, celui-ci lui venait d'une scène aperçue dans le métro, au coin d'une rue, ou bien d'une parole prononcée, d'une lecture, et parfois même d'un mot. Puis, il imaginait la chute. Jusque là, il n'avait jamais entrepris l'écriture d'un texte sans avoir une idée précise de la façon dont il se terminerait. Il aimait maîtriser ses personnages, leurs actions. Il ne supportait pas que le cours des choses lui échappent. Se laisser aller au fil de la plume représentait pour lui une supercherie d'écrivain vaniteux. Celui qui se laisse aller, perd le fil, c'est inévitable, l'œuvre ne peut dès lors jamais atteindre la perfection. Néanmoins, depuis quinze jours, il lui était devenu impossible d'achever une nouvelle. Les sujets ne manquaient pas, au contraire, ils se multipliaient. Il ne réussissait pas à suivre le rythme de ses idées. Cette paralysie le hantait. Il n'en dormait plus, c'était sa quatrième nuit blanche. Lui qui avait bâti sa gloire sur les rebondissements de ses histoires où il alternait cruauté, humour, folie, désespoir avec une aisance déconcertante, comment pouvait-il se retrouver aussi désarmé ? C'était sa réputation qui était en jeu. Il savait bien que ce n'était pas son style qui lui avait permis de briller dans le milieu littéraire, s'il ne se ressaisissait pas rapidement, il pourrait définitivement tirer une croix sur sa carrière. L'angoisse le rongeait. Combien de temps cette panne sèche allait-elle durer ? Était-il possible que le déclic ne se produise jamais, qu'il s'engouffre dans cette inextricable situation ? Toutes ces questions insolubles l'assaillaient, l'empêchant de se consacrer pleinement à son travail créatif.
Quand soudain le miracle se produisit — la scène qui se déroulait sous ses yeux lui semblait tout droit sortie d'un navet hollywoodien au happy-end bien trop prévisible —, ses doigts se mirent à courir sur le clavier. Une, deux, trois, puis les huit nouvelles trouvèrent une fin digne de ce nom, digne de son nom.
Sa poitrine se gonfla d'orgueil. Comment avait-il pu douter de lui à ce point ? Il était doué, ce type de qualités ne disparaît pas. Il allait pouvoir reprendre un rythme d'écriture régulier, conserver le prestige dont il jouissait. Sa première envie pour fêter l'événement fut de rejoindre son lit. Au moment où il rassembla ses forces pour se lever, il sentit une résistance s'opposait, comme s'il était engourdi, comme s'il se trouvait au beau milieu d'un rêve.

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