lundi 24 février 2014

Projet de traduction longue – Sarah Langlois

Auteur: Manuel Vicent
Titre : El azar de la mujer rubia Pages : 244 Éditions : Alfaguara, Madrid

Synopsis :
Le roman El azar de la mujer rubia de Manuel Vicent nous dresse un portrait de la Transition espagnole à travers le personnage d’Adolfo Suárez. Le point de départ du récit est une photographie prise par le fils du premier président de la démocratie, lorsqu’en (2008), le roi Juan Carlos lui décerne la plus haute décoration : l’Insigne de la Toison d’Or. Affaibli par la perte de mémoire, Suárez ne comprend pas pourquoi cet homme lui remet ce collier qui brille tant, mais sans qu’il puisse se l’expliquer, il sent lors de leur promenade dans le jardin qu’il apprécie cet individu aux chaussures moins belles que les siennes. Au cours de leur promenade, le vieil homme a des bribes de souvenirs, des images lui reviennent en mémoire, sans jamais pouvoir établir le moindre rapport avec sa propre histoire. Il se pose en spectateur d’un temps révolu, dont les protagonistes sont un prince qui cassait des briques avec la main, un sympathique politicien opportuniste, et une femme blonde profondément meurtrie. Ce dernier personnage, méconnu du grand public à l’étranger comme en Espagne, est en fait Carmen Díez de Rivera, un personnage central de la Transition qui a agi dans l’ombre, une sorte d’intermédiaire entre le directeur de la Radiotélévision Espagnole, futur Président du Gouvernement, et le Monarque ; une médiatrice qui œuvrera pour la légalisation du Parti Socialiste dont elle deviendra membre en 1977. Le lecteur découvre dans ce roman certains secrets bien gardés de cette période décisive de l’histoire d’Espagne, en balayant toute la période allant de l’après-guerre jusqu’à nos jours.
Manuel Vicent décrit tout au long du récit l’une des multiples facettes de la Transition, un thème qui lui est cher, et la manière dont il le fait correspond au reste de son œuvre car il emploie une narration où se mêlent réalité et fiction, éléments historiques et oniriques. Au fil du texte, il joue avec la mémoire perdue de Suárez, cette brume dans laquelle les personnages déambulent comme des spectres. L’auteur estime que le cours de l’Histoire est sans cesse soumis au hasard, hasard qui se traduit pendant la Transition par le triangle formé par Suárez, le prince Juan Carlos et la Carmen Díez de Rivera, cette dernière étant au départ une connaissance commune des deux hommes.
C’est grâce à la narration poétique et fictive que M. Vicent réussit à transmettre le climat du « post-franquisme ». Il introduit dans son roman les figures clés de cette période qu’il a personnellement rencontrées et interviewés au cours de sa carrière de journaliste. Il écrit en note à la fin du roman : « J’ai créé un jeu littéraire entre la réalité et la fiction dont les règles, je n’en doute pas, seront comprises et acceptées par n’importe quel lecteur averti. » D’un point de vue littéraire, la figure de Suárez acquiert toutes les caractéristiques du héros selon la définition qu’en fait M. Vicent : c’est un aventurier qui se lance au gré du vent sans savoir où il va ; son destin lui impose qu’il fasse preuve de courage à un certain moment, ce qui fut le cas lors du coup d’état du 23 février 1981 en faisant face aux putschistes et en soutenant son vice-Président Gutiérrez Mellado, qui refusa de se plier aux ordres des militaires ; il doit être abandonné et trahi par les siens ; puis perdre la mémoire, tel Alexandre le Grand sur son lit de mort. Cette comparaison avec le célèbre héros de l’Antiquité constitue le point de départ du roman car la préface lui est consacrée.
Manuel Vicent, ses prix et ses traductions :
Manuel Vicent a fait des études de droit et de philosophie à l’Université de Valence, puis suivi des cours à l’Ecole Officielle (Escuela Oficial) de Journalisme de Madrid, où il a commencé à travailler pour les revues contestataires Hermano lobo, inspiré de Charlie Hebdo, et Triunfo. Ses premiers articles politiques seront publiés dans le quotidien de presse indépendante Madrid. Il écrit des chroniques parlementaires par lesquelles il se fera connaître. Manuel Vicent est l’un des écrivains qui a le mieux décrit la Transition espagnole. Parmi ses écrits sur le sujet, on peut citer son livre Retratos de la Transición, qui regroupe 47 portraits des grandes figures de cette période. Il publiera ensuite Croniques Urbaines, composé de récits journalistiques mêlés à de la fiction littéraire. La Transition et le mélange des genres sont la marque de fabrique de cet auteur. Por la ruta de la memoria, des croniques de voyages également publiées dans ce journal.
Son travail journalistique a été récompensé trois fois par le Premio Gonzalez Ruano en 1979, 1993 et 1994 et le Prix de Journalisme Francisco Cerecedo en 1994, créé par l’Association des Journalistes Européens. En plus d’être un grand journaliste, Vicent est un grand écrivain. Plus de 15 œuvres publiées qui lui ont valu plusieurs prix, parmi lesquels se détachent le Prix Alfaguarra du Roman en 1966 pour Pascua y Naranja, le prix Nadal en 1987 pour La Ballade de Caïn (et finaliste en 79 pour El anarquista corronado de adelfas). Il a aussi écrit El resuello (1966), Inventario de Otoño (1982), La mort boit dans un grand verre (1992), Contra paraíso (1993), Del Café Gijon a Itaca (1994), Tranvía a la Malvarrosa (1994), adapté au cinéma par José Luis García Sanchez, Son de Mar, La novia de Matisse et Póquer de ases (2009). En Espagne, l’oeuvre de Manuel Vicent est considérée comme l’une des proses les plus encensées de la littérature espagnole contemporaine. Ce prestige est dû en partie à l’impossibilité de déterminer un genre pour l’ensemble de son œuvre, il jongle entre les genres, souvent en jouant sur la dualité entre l’onirisme et le réel.
J’ajouterai à cela des extraits de l’article paru dans El Cultural le 08 mars 2013, lors de la publication de son roman, El azar de la mujer rubia :
« Manuel Vicent est conscient que la littérature ne plagie pas, elle recrée : il sait également que l’invention produit une vraisemblance spécifique. Ce brouillard imaginatif apporte un nouvel éclairage aux faits historiques, et à partir de la mort de Franco, les événements les plus marquants défilent comme des mensonges, et non des témoignages. Ils s’enchaînent au fil du livre, avec une versatilité temporelle qui nous épargne certaines rigidités chronologiques […]. Un jeu de transgressions qui n’est en rien innocent. […] On est face à un Manuel Vicent ironique, caustique et iconoclaste qui nous laisse un arrière-goût de pessimisme, celui du scepticisme post-moderne. »
Trois de ses ouvrages ont été traduits en français : son roman La ballade de Caïn paru chez Robert Laffont en 1990 et traduit par Chantal Mairot en collaboration avec Eduardo Jiménez, La mort boit dans un grand verre traduit par Gabriel Iaculli et paru en 1998 aux éditions du Rocher et son recueil de nouvelles Service des urgences publié en 2000 par le même éditeur et avec le même traducteur. Dans le reste de l’Europe, des traductions de Manuel Vicent sont parues en Allemagne (quatre), en Pologne (trois), aux Pays-Bas (deux), en Autriche (deux), en Finlande (deux), en Suède (une), en Belgique (une), en Italie (une), et en Grèce (une).
Projet de traduction :

Même si toute l’œuvre de Manuel Vicent n’a pas été traduite, je pense que ce nouveau roman de Manuel Vicent peut vraiment intéresser le lectorat français. Il s’agit non seulement d’un récit très instructif sur le franquisme et l’après-franquisme, mais aussi des relations de ces trois personnages que sont le roi, Suárez et Carmen Díez de Rivera. En écrivant un roman centré sur son personnage, Manuel Vicent fait sortir de l’ombre cette femme souvent méconnue de la population espagnole et insiste sur l’influence qu’elle a pu avoir sur les deux autres protagonistes. On peut y voir selon moi une sorte de mise en avant d’un personnage féminin dans un univers exclusivement masculin, de surcroît dans le contexte de l’Espagne des années 70. Quant au style, la plume de Vicent est très fluide, on trouve dans sa narration beaucoup de métaphores lorsque Suárez est plongé dans ses souvenirs, mais le lecteur n’est jamais perdu entre ces deux mondes qui s’opposent et se complètent.

Aucun commentaire: