samedi 7 mars 2009

Version d'entraînement, 38 (Max Aub)

En photo : Guantes verdes par cieloyvos

HACÍA UN FRÍO de mil demonios. Me había citado a las siete y cuarto en la esquina de Venustiano Carranza y San Juan de Letrán. No soy de esos hombres absurdos que adoran el reloj reverenciándolo como una deidad inalterable. Comprendo que el tiempo es elástico y que cuando le dicen a uno las siete y cuarto, lo mismo da que sean las siete y medía. Tengo un criterio amplio para todas las cosas. Siempre he sido un hombre muy tolerante: un liberal de la buena escuela. Pero hay cosas que no se pueden aguantar por muy liberal que uno sea. Que yo sea puntual a las citas no obliga a los demás sino hasta cierto punto; pero ustedes reconocerán conmigo que ese punto existe. Ya dije que hacía un frío espantoso. Y aquella condenada esquina está abierta a todos los vientos. Las siete y media, las ocho menos veinte, las ocho menos diez. Las ocho. Es natural que ustedes se pregunten que por qué no lo dejé plantado. La cosa es muy sencilla: yo soy un hombre respetuoso de mi palabra, un poco chapado a la antigua, si ustedes quieren, pero cuando digo una cosa, la cumplo. Héctor me había citado a las siete y cuarto y no me cabe en la cabeza el faltar a una cita. Las ocho y cuarto, las ocho y veinte, las ocho y veinticinco, las ocho y media, y Héctor sin venir. Yo estaba positivamente helado: me dolían los pies, me dolían las manos, me dolía el pecho, me dolía el pelo. La verdad es que si hubiese llevado mi abrigo café, lo más probable es que no hubiera sucedido nada. Pero esas son cosas del destino y les aseguro que a las tres de la tarde, hora en que salí de casa, nadie podía suponer que se levantara aquel viento. Las nueve menos veinticinco, las nueve menos veinte, las nueve menos cuarto. Transido, amoratado. Llegó a las nueve menos diez: tranquilo, sonriente y satisfecho. Con su grueso abrigo gris y sus guantes forrados:
—¡Hola, mano!
Así, sin más. No lo pude remediar: lo empujé bajo el tren que pasaba. Triste casualidad.

Max Aub, Crímenes ejemplares

***

La traduction « officielle » de Crímenes ejemplares, réalisée par Danièle Guibbert, pour les éditions Phébus, libretto, 1997, p. 69-70 :

Il faisait un froid de tous les diables. Il m’avait donné rendez-vous à sept heures et quart à l’angle de Venustiano Carranza et de San Juan de Letran. Je ne suis pas de ces gens absurdes qui ont une adoration pour les montres et les révèrent comme des divinités indestructibles. Je sais bien que le temps est élastique et que si l’on vous dit sept heures et quart c’est pareil que sept heures et demie. J’ai d’ailleurs l’esprit large pour tout, j’ai toujours été tolérant : un libéral de la vieille école. Il y a cependant des choses qu’un libéral comme moi ne pourra jamais accepter. Que je sois à l’heure aux rendez-vous n’oblige pas les autres à l’être aussi, mais cela seulement jusqu’à un certain point, et vous reconnaîtrez avec moi que ce point existe. J’ai déjà dit qu’il faisait un froid épouvantable et ce damné carrefour était balayé par tous les vents. Sept heures et demie, huit heurs moins vingt, huit heures moins dix, huit heures. Il est parfaitement normal que vous vous demandiez pourquoi je ne suis pas parti. Le fait est simple : je suis un homme de parole, un peu vieux jeu si vous voulez. Quand j’ai décidé de faire une chose, je la fais. Hector m’avait donné rendez-vous à sept heures et quart et il ne me serait jamais venu à l’idée de manquer ce rendez-vous. Huit heures et quart, huit heures vingt, huit heures vingt-cinq, huit heures et demie et pas d’hector. J’étais complètement gelé : j’avais mal aux pieds, mal aux mains, mal à la poitrine et même aux cheveux. En vérité si j’avais mis mon manteau marron il est probable qu’il ne se serait rien passé. Mais voilà bien les mystérieux détours du destin ; je vous assure qu’à trois heures de l’après-midi, heure à laquelle je suis sorti de chez moi, personne ne pouvait se douter que le vent allait se lever. Neuf heures moins vingt-cinq, neuf heures moins vingt, neuf heures moins le quart. J’étais transi de froid et violacé. Il est arrivé à neuf heures moins dix : tranquille, souriant et satisfait. Il portait son grand manteau gris et des gants fourrés. Et comme ça, sans plus, il a dit :
— Salut, toi !
Rien de plus. Je n’ai pas pu faire autrement, je l’ai poussé sous le tram qui passait.

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La traduction que je vous propose :

Il faisait un froid de tous les diables. Il m’avait donné rendez-vous à l’angle de Venustiano Carranza et San Juan de Letrán. Personnellement, je ne fais pas partie de ces hommes insensés qui vénèrent leur montre comme s’il s’agissait d’une divinité inaltérable. Je veux bien admettre que le temps est élastique, et que quand on dit quelqu’un qu'on le retrouve à sept heures et quart, ça revient à peu près au même d’arriver à sept heures et demie. Je suis large d’esprit pour à peu près tout. J’ai toujours été quelqu’un de très tolérant : un libéral bon teint. Mais aussi libéral soit-on, il y a des choses qu’on ne peut tolérer. Le fait que moi, je sois ponctuel à mes rendez-vous, n’oblige les autres à l’être que jusqu’à un certain point, certes, mais vous conviendrez avec moi que ledit point existe. Je l’ai dit, il faisait un froid épouvantable. Et ce maudit angle de rues qui est toujours en plein courants d’air ! Sept heures et demie, huit heures moins vingt, huit heures moins dix. Huit heures ! Il est normal que vous vous demandiez pourquoi je ne l’ai pas planté là. La chose est fort simple : moi, je suis un homme respectueux de sa parole, un peu vieux jeu, je vous l’accorde, mais quand je dis quelque chose, je m’y tiens. Héctor m’avait dit de le retrouver à sept heures et quart et il ne me viendrait pas à l’idée de manquer un rendez-vous. Huit heures et quart, huit heures vingt, huit heures vingt-cinq, huit heures et demie. Et toujours pas d’Héctor ! J’étais littéralement congelé : j’avais mal aux pieds, j’avais mal aux mains, j’avais mal à la poitrine, j’avais même mal aux cheveux. La vérité, c’est que si j’avais porté mon manteau marron, le plus probable est qu’il ne se serait rien passé. Mais c’est la vie et je peux vous assurer qu’à trois heures de l’après-midi, heure à laquelle je suis sortis de chez moi ce jour-là, rien n’aurait pas pu laisser supposer qu’un tel vent se lèverait. Neuf heures moins vingt-cinq, neuf heures moins vingt, neuf heures moins le quart. Transi, tout violet, voilà comment j’étais ! Et finalement, il est arrivé à neuf heures moins dix, pas stressé pour deux sous, tout sourire et content de lui. Avec son épais manteau et ses gants fourrés.
— Salut, vieux !
Là, comme ça, sans un mot de plus. Alors ça a été plus fort que moi : je l’ai poussé sous le train qui passait pile à cet instant. Que voulez-vous… triste hasard, voilà tout.

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Brigitte nous propose sa traduction :

N'ayant pas l'intégralité du texte, et ne sachant pas quel type d'homme est le narrateur, je n'ai pas osé employer des termes plus argotiques.
1. Pour "Mano", j'ai supposé qu'il s'agissait de l'abréviation de "hermano" à moins que ce ne soit celle d'un prénom ?
2. Pour "tren" à la fin du texte, je l'ai traduit pas "tram" car comme il attend depuis des heures à un coin de rue, j'aurai trouvé bizarre de traduire "train"...

Il faisait un froid de canard. Il m’avait donné rendez-vous à sept heures et quart à l’angle de Venustiano Carranza et San Juan de Letrán.
Je ne suis pas de ces imbéciles qui restent en adoration devant la pendule, en la vénérant comme une divinité immuable. Non, je comprends très bien que le temps c’est élastique et que quand on vous dit à sept heures et quart, peu importe que ce soit sept heures et demie.
J’ai une grande largesse d’esprit pour toutes choses. J’ai toujours été quelqu’un de très tolérant : un libéral de la bonne école. Mais tout libéral qu’on soit, il y a des choses qu’on ne peut pas accepter. Que je sois ponctuel aux rendez-vous n’oblige en rien les autres, jusqu’à une certaine limite ; mais vous avouerez comme moi que cette limite existe bien.
J’ai déjà dit qu’il faisait un froid épouvantable. Et ce foutu coin de rue en plein vent. Sept heures et demie, heures moins vingt, huit heures moins dix. Huit heures. Il est bien naturel que vous vous demandiez pourquoi diable j’ lui ai pas posé de lapin. Rien de plus simple : je suis un homme de parole, un peu vieux jeu, si vous préférez, mais quand je dis quelque chose, je le fais. Hector m’avait donné rendez-vous à sept heures moins le quart et impossible pour moi de rater un rendez-vous. Huit heures et quart, huit heures vingt, huit heures vingt cinq, huit heures et demie, et toujours pas d’Hector. J’étais carrément frigorifié : j’avais mal aux pieds, mal aux mains, mal à la poitrine, mal aux cheveux. Il faut dire aussi que si j’avais mis mon manteau café, y a fort à parier que rien de tout ça ne serait arrivé. Mais bon, c’est le destin et je vous assure qu’à trois heures de l’après-midi, heure à laquelle j’étais sorti de chez moi, personne ne pouvait imaginer qu’un tel vent se lèverait. Neuf heures moins vingt cinq, neuf heures moins vingt, neuf heures moins le quart. Transis, violacé. Il s’est pointé à neuf heures moins dix : relax, tout sourire et content de lui. Avec son épais manteau gris et ses gants fourrés.
- Salut, frero !
Comme ça, l’air de rien. Ca a été plus fort que moi : j’ l’ai poussé sous le premier tram qui passait. Triste hasard.

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Odile nous propose sa traduction :

Il faisait un froid de tous les diables. Il m'avait donné rendez-vous à sept heures et quart à l'angle des rues Venustiano Carranza et San Juan Juan de Letrán. Je ne fais pas partie de ces hommes stupides qui vénèrent leur montre comme s'il s'agissait d'une divinité inaltérable. Je veux bien admettre que le temps est élastique et que lorqu'on te dit qu'on te retrouve à sept heures et quart, peu importe qu'il soit sept heures et demie. Je suis large d'esprit en tout. J'ai toujours été un homme très tolérant: un libéral formé à la bonne école. Mais, tout libéral qu'on soit, il y a des choses qu'on ne peut tolérer. Le fait que moi, je sois ponctuel à mes rendez-vous n'oblige les autres à l'être que jusqu'à un certain point, mais vous m'accorderez que ce point existe. Je l'ai déjà dit, il faisait un froid épouvantable. Et ce maudit angle de rue est ouvert à tous les vents. Sept heures et demie, huit heures moins vingt, huit heures moins dix. Huit heures. Il est normal que vous vous demandiez pourquoi je ne l'ai pas laissé planté là. C'est très simple: je suis un homme respectueux de sa parole, un peu vieux jeu si vous voulez, mais quand je dis quelque chose, je tiens parole. Héctor m'avait donné rendez-vous à sept heures et quart et il ne me viendrait pas à l'idée de manquer un rendez-vous. Huit heures et quart, huit heures vingt, huit heures vingt-cinq, huit heures et demie et toujours pas d' Héctor; j'étais littéralement congelé: j'avais mal aux pieds, j'avais mal au mains, j'avais mal à la poitrine, j'avais mal aux cheveux. La vérité c'est que si j'avais porté mon manteau marron, le plus probable est qu'il ne serait rien arrivé. Mais c'est la vie et je vous assure qu'à trois heures de l'après-midi, quand je suis sorti de chez moi, personne ne pouvait prévoir qu'un vent pareil se léverait. Neuf heures moins vingt-cinq, neuf heures moins vingt, neuf heures moins le quart. J'étais gelé, violacé. Il est arrivé à neuf heures moins dix: tranquille, souriant et content de lui. Avec son épais manteau gris et ses gants fourrés.
- Salut, vieux!
Comme ça, sans plus. Ça a été plus fort que moi: je l'ai poussé sous le train qui passait...Triste hasard.

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