Barrendera en Madrid
Al principio fue un trago. Todo. Por un lado, mi orgullo herido […] porque no me digas que no es fácil de entender que ser barrendera no es el sueño de alguien que ha llegado hasta primero de facultad [… ]para mí este trabajo fue la típica caída en picado en el escalafón social. Más luego los detalles prácticos del propio trabajo […]
Al principio de este trabajo, no me preguntes por qué, ves toda la mierda. La distingues toda. Es como si los ojos se te convirtieran en lupas. Distingues todos los escupitajos, todas las cagadas, las cucarachas que se cruzan, las ratas, la porquería que se acumula en los alcorques, las bolsas que la gente deja a deshora al lado de los bancos o en los árboles, las patas de pollo que sobresalen de las bolsas, que brillan en la oscuridad, y que parecen que claman al cielo pidiendo auxilio, los condones, el vómito que aún huele a alcohol agrio y a cena descompuesta y las hojas de los árboles, que cuando el tiempo está seco vuelan y se te escapan y cuando llueve se pegan al suelo como calcomanías y no hay forma de despegarlas.
Yo empecé a currar con la caída de la hoja, en esa época contratan al doble de gente, y te aseguro que si tienes una idea romántica del otoño ahí se te acaba cualquier romanticismo. Se lo aconsejo a cualquiera : si quieres meterte a barrer, no lo hagas en otoño. Pero por otra parte, como es lógico, es la estación en la que contratan a más gente y la gente hoy en día trabaja en cualquier cosa. Y más los inmigrantes. O gente como yo, que teniendo una mínima posición, por azares de la vida, nos vemos arrojados al trabajo de calle. Yo tenía una compañera ecuatoriana que me decía que después de haber limpiado en tres casas, esto le parecía el paraíso terrenal, decía que siempre es más llevadero limpiar porquería en abstracto, la porquería anónima de la calle, que la mierda que producen unos seres concretos a los que a veces tienes una manía espantosa y que te están explotando miserablemente. Es una forma de verlo muy respetable también.
Elvira Lindo, Una palabra tuya, Barcelona : Seix Barral, 2005, pp. 37-39.
***
***
La traduction que je vous propose :
Balayeuse à Madrid
Au début, la pilule a été dure à avaler. Ben à cause de tout. D’un côté, y avait mon orgueil blessé […] parce que me dis pas que c’est compliqué à comprendre qu’être balayeuse, c’est pas exactement le rêve de quelqu’un qu’a réussi à arriver jusqu’en première année de fac […] Pour moi, ce travail a été la typique chute libre sur l’échelle social. D’un autre côté, y avait tous les détails pratiques du boulot proprement dit […]
Quand tu commences à faire ça, me demande pas pourquoi, tu vois toute la merde et rien que la merde. Et en gros plan, même ! C’est comme si t’avais des loupes à la place des yeux. Tu remarques tous les glaviots, toutes les crottes, des colonies de cafards qui se baladent partout, les rats, la daube qui s’accumule dans les bouches d’arrosage, les sacs que les gens laissent sans se poser de question à côté des bancs ou au pied des arbres, les pattes de poulet qui dépassent et qui brillent dans l’obscurité et qu’on a l’impression qu’elles appellent le ciel à l’aide, les préservatifs, du vomi qui pue l’alcool aigrelet et la bouffe en pleine décomposition. Et je te parle pas des feuilles des arbres ; quand le temps est sec, elles volent dans tous les sens et y a pas moyen de les attraper ; et quand il pleut, elles s’accrochent par terre comme des autocollants et t’as plus moyen de les enlever.
Moi, j’ai commencé à bossé justement au moment de la chute des feuilles ; pendant cette période ils engagement le double de gens et je peux te garantir que si t’as une idée romantique de l’automne, et ben là, ton romantisme, il est tué dans l’œuf ! C’est le conseil que je donne : si tu veux te lancer dans le balayage, le fais surtout pas en automne. En même temps, et c’est logique, c’est la saison où il ont besoin de plus de monde. Or aujourd’hui, les gens sont prêts à travailler dans n’importe quoi. Surtout les immigrés. Ou des gens comme moi, qui, partant de pas très haut, se retrouvent, à cause des hasards de la vie, à devoir se taper le taf de la rue. J’avais une collègue équatorienne qui me disait qu’après avoir fait des ménages dans trois maisons différentes, ça, pour elle, c’était le paradis sur terre ; d’après elle, il est toujours plus supportable de nettoyer de la merde abstraite, la merde anonyme de la rue, que la merde que produisent des êtres concrets, que parfois tu peux carrément pas blairer et qui t’exploitent à mort. C’est une manière de voir les choses tout à fait respectable aussi.
Balayeuse à Madrid
Au début, la pilule a été dure à avaler. Ben à cause de tout. D’un côté, y avait mon orgueil blessé […] parce que me dis pas que c’est compliqué à comprendre qu’être balayeuse, c’est pas exactement le rêve de quelqu’un qu’a réussi à arriver jusqu’en première année de fac […] Pour moi, ce travail a été la typique chute libre sur l’échelle social. D’un autre côté, y avait tous les détails pratiques du boulot proprement dit […]
Quand tu commences à faire ça, me demande pas pourquoi, tu vois toute la merde et rien que la merde. Et en gros plan, même ! C’est comme si t’avais des loupes à la place des yeux. Tu remarques tous les glaviots, toutes les crottes, des colonies de cafards qui se baladent partout, les rats, la daube qui s’accumule dans les bouches d’arrosage, les sacs que les gens laissent sans se poser de question à côté des bancs ou au pied des arbres, les pattes de poulet qui dépassent et qui brillent dans l’obscurité et qu’on a l’impression qu’elles appellent le ciel à l’aide, les préservatifs, du vomi qui pue l’alcool aigrelet et la bouffe en pleine décomposition. Et je te parle pas des feuilles des arbres ; quand le temps est sec, elles volent dans tous les sens et y a pas moyen de les attraper ; et quand il pleut, elles s’accrochent par terre comme des autocollants et t’as plus moyen de les enlever.
Moi, j’ai commencé à bossé justement au moment de la chute des feuilles ; pendant cette période ils engagement le double de gens et je peux te garantir que si t’as une idée romantique de l’automne, et ben là, ton romantisme, il est tué dans l’œuf ! C’est le conseil que je donne : si tu veux te lancer dans le balayage, le fais surtout pas en automne. En même temps, et c’est logique, c’est la saison où il ont besoin de plus de monde. Or aujourd’hui, les gens sont prêts à travailler dans n’importe quoi. Surtout les immigrés. Ou des gens comme moi, qui, partant de pas très haut, se retrouvent, à cause des hasards de la vie, à devoir se taper le taf de la rue. J’avais une collègue équatorienne qui me disait qu’après avoir fait des ménages dans trois maisons différentes, ça, pour elle, c’était le paradis sur terre ; d’après elle, il est toujours plus supportable de nettoyer de la merde abstraite, la merde anonyme de la rue, que la merde que produisent des êtres concrets, que parfois tu peux carrément pas blairer et qui t’exploitent à mort. C’est une manière de voir les choses tout à fait respectable aussi.
***
Brigitte nous propose sa traduction :
Au début, ça a été dur à avaler. Tout. D’abord, mon orgueil qui en a pris un coup (…) parce que tu ne vas pas me dire que c’est difficile à comprendre qu’être balayeuse c’est pas le rêve de quelqu’un qui est allé jusqu’en première année de fac (…) Ce travail, ça a été pour moi, la typique dégringolade au fond du gouffre. Et puis après, il y a les détails pratiques du travail proprement dit. (…)
Au début, quand tu fais ce travail, ne me demande pas pourquoi, tu ne vois que la merde. Tu la détectes. C’est comme si tes yeux devenaient des loupes. Tu repères tous les mollards, toutes les crottes, les cafards qui se croisent, les rats, les ordures qui s’accumulent au pied des arbres, les sacs que les gens abandonnent à tout heure du jour, à côté des bancs ou dans les buissons, les cuisses de poulet qui émergent des sacs, qui brillent dans l’obscurité, et qui semblent se tourner vers le ciel pour appeler à l’aide, les capotes, le vomis qui sent encore l’alcool aigre et le repas en décomposition, et les feuilles des arbres qui, quand il fait sec, s’envolent et t’échappent, et, quand il pleut, se collent par terre comme des décalcomanies et là, pas moyen de les décoller.
J’ai commencé à bosser avec la chute des feuilles, en cette période-là, ils embauchent le double de monde, et je peux t’assurer que si tu te faisais une idée romantique de l’automne, là, terminé le romantisme. Je donne ce conseil à tout le monde : si tu veux être balayeur, ne commence jamais en automne !
Mais, d’un autre côté, c’est logique, c’est la saison où on embauche le plus de gens et les gens d’aujourd’hui travaillent dans n’importe quoi. Et les immigrés encore plus. Ou les gens comme moi, qui se trouvent dans une situation précaire, à cause des aléas de la vie, et qui se retrouvent balancés comme travailleurs de rue.
Une camarade équatorienne me disait qu’après avoir fait le ménage chez trois particuliers, ça, à côté, ça paraissait le paradis sur terre : elle disait que c’est toujours plus stimulant de nettoyer la merde de façon abstraite, la merde anonyme de la rue, plutôt que la merde produite par des êtres concrets pour qui tu ressens parfois une profonde antipathie et qui t’exploitent misérablement.
Autre façon très respectable aussi de voir les choses.
Au début, ça a été dur à avaler. Tout. D’abord, mon orgueil qui en a pris un coup (…) parce que tu ne vas pas me dire que c’est difficile à comprendre qu’être balayeuse c’est pas le rêve de quelqu’un qui est allé jusqu’en première année de fac (…) Ce travail, ça a été pour moi, la typique dégringolade au fond du gouffre. Et puis après, il y a les détails pratiques du travail proprement dit. (…)
Au début, quand tu fais ce travail, ne me demande pas pourquoi, tu ne vois que la merde. Tu la détectes. C’est comme si tes yeux devenaient des loupes. Tu repères tous les mollards, toutes les crottes, les cafards qui se croisent, les rats, les ordures qui s’accumulent au pied des arbres, les sacs que les gens abandonnent à tout heure du jour, à côté des bancs ou dans les buissons, les cuisses de poulet qui émergent des sacs, qui brillent dans l’obscurité, et qui semblent se tourner vers le ciel pour appeler à l’aide, les capotes, le vomis qui sent encore l’alcool aigre et le repas en décomposition, et les feuilles des arbres qui, quand il fait sec, s’envolent et t’échappent, et, quand il pleut, se collent par terre comme des décalcomanies et là, pas moyen de les décoller.
J’ai commencé à bosser avec la chute des feuilles, en cette période-là, ils embauchent le double de monde, et je peux t’assurer que si tu te faisais une idée romantique de l’automne, là, terminé le romantisme. Je donne ce conseil à tout le monde : si tu veux être balayeur, ne commence jamais en automne !
Mais, d’un autre côté, c’est logique, c’est la saison où on embauche le plus de gens et les gens d’aujourd’hui travaillent dans n’importe quoi. Et les immigrés encore plus. Ou les gens comme moi, qui se trouvent dans une situation précaire, à cause des aléas de la vie, et qui se retrouvent balancés comme travailleurs de rue.
Une camarade équatorienne me disait qu’après avoir fait le ménage chez trois particuliers, ça, à côté, ça paraissait le paradis sur terre : elle disait que c’est toujours plus stimulant de nettoyer la merde de façon abstraite, la merde anonyme de la rue, plutôt que la merde produite par des êtres concrets pour qui tu ressens parfois une profonde antipathie et qui t’exploitent misérablement.
Autre façon très respectable aussi de voir les choses.
***
Odile nous propose sa traduction :
Balayeuse à Madrid
Au début, ça pas été facile. Pour tout. D'abord, mon orgueil qui en a pris un coup (…) car ne me dis pas que c'est compliqué à comprendre qu' être balayeuse c'est pas le rêve de quelqu'un qui est allé jusqu'à la première année de faculté (…) pour moi ce boulot ça a été le type même de dégringolade dans l'échelle sociale. Après, les détails pratiques du travail lui-même...
Au début dans ce boulot, et ne me demandes pas pourquoi, tu vois toute la merde. Tu vois tout. Cest comme si tes yeux devenaient des loupes. Tu vois tous les crachats, toutes les crottes, les cafards qui passent, les souris, la saleté qui s'accumule dans les grilles aux pieds des arbres, les sacs que les gens laissent comme ça, près des bancs ou dans les arbres, les pattes de poulet qui dépassent des sacs, qui brillent dans le noir et qu'on dirait qu'elles appellent le ciel au secours, les capotes, le vomi qui sent encore l'alcool aigre et la bouffe pourrie de la veille et les feuilles des arbres, qui volent quand le temps est sec et que tu peux pas ramasser et quand il pleut, là, elles se plaquent au sol comme des décalcomanies et y'a pas moyen de les décoller.
J'ai commencé à bosser quand les feuilles tombent, à cette époque ils emploient le double de personnes et je t'assure que si tu as une idée romantique de l'automne, ben là, le romantisme il fout le camp. Un conseil: si tu veux faire balayeur, ne commence pas en automne. D'un autre côté, c'est logique, c'est la saison où ils embauchent le plus de gens et les gens maintenant prennent n'importe quel travail. Et les immigrés, plus encore. Ou des gens comme moi, qui ayant un minumum d'études, à cause des hasards de la vie, sont obligés de travailler dans la rue. J'avais une collègue équatorienne qui me disait qu'après avoir fait le ménage dans trois maisons différentes, ben ça, ça lui paraissait le paradis sur terre, elle disait que c'est mieux de nettoyer de la saleté abstraite, la saleté anonyme de la rue, que la merde que produisent des personnes concrètes que tu peux pas sentir et qui t'exploitent à fond. C'est une façon de voir les choses bien respectable aussi.
Balayeuse à Madrid
Au début, ça pas été facile. Pour tout. D'abord, mon orgueil qui en a pris un coup (…) car ne me dis pas que c'est compliqué à comprendre qu' être balayeuse c'est pas le rêve de quelqu'un qui est allé jusqu'à la première année de faculté (…) pour moi ce boulot ça a été le type même de dégringolade dans l'échelle sociale. Après, les détails pratiques du travail lui-même...
Au début dans ce boulot, et ne me demandes pas pourquoi, tu vois toute la merde. Tu vois tout. Cest comme si tes yeux devenaient des loupes. Tu vois tous les crachats, toutes les crottes, les cafards qui passent, les souris, la saleté qui s'accumule dans les grilles aux pieds des arbres, les sacs que les gens laissent comme ça, près des bancs ou dans les arbres, les pattes de poulet qui dépassent des sacs, qui brillent dans le noir et qu'on dirait qu'elles appellent le ciel au secours, les capotes, le vomi qui sent encore l'alcool aigre et la bouffe pourrie de la veille et les feuilles des arbres, qui volent quand le temps est sec et que tu peux pas ramasser et quand il pleut, là, elles se plaquent au sol comme des décalcomanies et y'a pas moyen de les décoller.
J'ai commencé à bosser quand les feuilles tombent, à cette époque ils emploient le double de personnes et je t'assure que si tu as une idée romantique de l'automne, ben là, le romantisme il fout le camp. Un conseil: si tu veux faire balayeur, ne commence pas en automne. D'un autre côté, c'est logique, c'est la saison où ils embauchent le plus de gens et les gens maintenant prennent n'importe quel travail. Et les immigrés, plus encore. Ou des gens comme moi, qui ayant un minumum d'études, à cause des hasards de la vie, sont obligés de travailler dans la rue. J'avais une collègue équatorienne qui me disait qu'après avoir fait le ménage dans trois maisons différentes, ben ça, ça lui paraissait le paradis sur terre, elle disait que c'est mieux de nettoyer de la saleté abstraite, la saleté anonyme de la rue, que la merde que produisent des personnes concrètes que tu peux pas sentir et qui t'exploitent à fond. C'est une façon de voir les choses bien respectable aussi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire