vendredi 15 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Dans la salle d'attente », par Stéphanie Maze

En photo : Réveils
par Pimoo

6h15 = Encore un réveil aux aurores, les yeux cernés, le teint blafard. Envie de rien...
7h02 = J'avale mon café en quatrième vitesse puis monte dans ma caisse. Radio. Politique. Économie. Ils me font chier avec le sérieux de leurs sujets. Je change de station. Héhé ! Le bon vieux canular du matin. Ils me font chier avec leur humour potache. Insatisfait chronique. Sans doute.
8h15 = J'arrive enfin. Entre dans le cabinet. La pièce est vide, entièrement vide. Je la balaie du regard avec satisfaction. Toutes ces chaises qui, au fur et à mesure, vont se remplir. Elles sont LIBRES. Je les essaie toutes, une par une, je me mets à imiter la mine de leurs futurs occupants, aigrie, renfrognée.
8h45 = Les hostilités commencent. À cette heure-là, toujours le même profil de patient(e). Un(e) cadre. Toujours un peu pressé(e), toujours un peu désagréable. Forcément, ça va de paire.
9h43 = La salle d'attente se remplit peu à peu, trois personnes. Mais qu'est-ce que j'ai foutu bon sang ? J'essaie toujours de ne pas mettre trop de rendez-vous, sinon ils se multiplient, ils se reproduisent – un jour la race des squatteurs de cabinet (sans mauvais jeu de mots) dominera le monde – , ils trépignent d'impatience et se sentent obligés de me le faire savoir en tapant du pied, comme si ça me faisait plaisir à moi de crouler sous les infirmes. Comme si c'était de ma faute à moi, si je dois rassurer tous les hypocondriaques du quartier, jouer à l'assistante sociale avec tous les gens seuls – et, souvent, on comprend pourquoi –.
11h57 = La trêve devait avoir lieu mais j'ai encore mal compté. J'ouvre la porte, je croise les doigts : « Seigneur qui n'existez pas, faites qu'il n'en reste qu'un. » En lorgnant la salle, cette pensée circule dans ma tête, « T'existes sacrément pas », ponctuée d'une injure que je décide de ne pas évoquer ici. Sait-on jamais les portes du Paradis me sont peut-être encore ouvertes... (Scepticisme). Il en reste trois. On garde son calme, on expire bien tout l'air contenu dans nos poumons et on sourit. « Bonjour madame ».
13h28 = La reprise. Ah ! Cette pause de midi, un vrai bonheur, 15 minutes pour engloutir un sandwich, à moitié rassis qui plus est. Mais ce n'est pas grave, rien n'est grave. (Autopersuasion). Le pire moment de la journée. Consultations libres. Là, ils se montent presque les uns sur les autres, on pourrait facilement les encastrer comme un jeu de Lego. J'ouvre la porte, ne pas perdre la face : 8. 8, ils sont déjà 8, – ils dépassent tous la soixantaine, évidemment – et il n'est même pas 13h30, tout va bien. Je ne comprends définitivement pas ces gens qui défilent dans la rue contre la réforme des retraites : s'ils travaillaient plus longtemps ces vieux, ils atterriraient plus vite dans le cercueil et ne prendraient pas d'assaut ma salle d'attente en ce moment même. La retraite à 67 ans je vous le dis, moi, c'est le début du bonheur. Et que j'ai mal au dos, et que j'ai des aigreurs d'estomac. C'est normal, c'est ton organisme qui rouille pépère ! (Autocensure). Le sourire de rigueur. « Au revoir monsieur ». Et on enchaîne avec mémère. Et l'amour du client – n'ayons pas peur des mots – ou du métier dans tout ça ? C'est un concept tout juste bon pour les néophytes.
17h41 = La fin approche. Ne pas crier victoire trop vite. Deux. Il ne m'en reste que deux. (Exultation). Quelque chose ne tourne pas rond... Ce serait la première en 10 ans que je finirais avec seulement une demi-heure de retard.
18h12 = Je me rapproche de la porte, tout sourire, un dernier coup d'oeil, simplement pour savourer le moment... Tadam ! Et là, je la vois, elle, avec son petit bébé pleurnichard qui braille à ne plus en pouvoir. « Désolée docteur, c'est une urgence, est-ce que...? »
Et là, je me surprends à avoir une pensée pleine d'amour – vous en doutez, comment un personnage aussi méprisant que moi pourrait-il ressentir ce genre de choses ? –, ma pensée pleine d'amour donc, deuxième race à exterminer : les bébés. (Autocensure toujours). Sourire de rigueur : « Évidemment, madame. Suivez-moi. Oh ! Qu'il est mignon ! »

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