lundi 18 mars 2013

Exercice d'écriture 14 – par Nadia Salif


« Dis-le ! Mais, dis-le ! »

Tout me paraît si étrange, je suis pourtant bien dans ma chambre, celle de toujours, celle où j’ai grandi, celle où j’ai joué avec mes frères et sœurs étant petite, celle de tant de souvenirs. Après de longues vacances à l’étranger, bien que je la retrouve intacte, j’ai la sensation de la redécouvrir.
Je me réacclimate tout doucement aux meubles, aux bruits de la rue, au soleil qui caresse doucement mon lit.  J'aimerais que le temps s'arrête. Mais déjà ma mère m'appelle pour un ménage général, comme si en un mois une maison vide et les volets clos avait pu se salir si facilement.
Je choisis de m’occuper du salon. Tiens ? Il me semble percevoir une légère odeur de cigarette ! C’est peut-être mon imagination, j’ouvre les fenêtres en grand puis me mets à dépoussiérer. Je remarque alors, qu’un album photo n’est pas à sa place dans la vitrine. Je jette un coup d’œil circulaire et finis par tomber dessus, il se trouve sur une petite table, dans un coin de la pièce.  Au moment où je m’en saisi, une photo tombe par terre. Je la ramasse, curieuse ; une angoisse commence alors à m’envahir, j’ai chaud puis froid puis encore chaud. Sur le cliché, mon frère apparait deux flingues à la main entouré de deux potes à lui, tous assis sur notre canapé ! Il ne manque plus que la chaîne en or et les liasses de dollars et on se croirait en plein clip de gangsta rap ! Il a l’air complètement défoncé. J’entends les pas de ma mère dans le couloir, je cache la photo dans ma poche et me remets à  l’ouvrage. Ma tête est lourde. Que dois-je faire ? Le dire ? À qui ? À ma mère ? Non, ça me retomberait dessus, à coup sûr ! A mon père ? Non, il a déjà repris le travail et je ne veux pas  le tracasser avec ça. À ma sœur ? Non, elle est trop impulsive. Il faut que je m’en débarrasse. Je me dépêche de terminer le nettoyage du sol et rentre en vitesse dans la salle de bain, un paquet d’allumettes à la main. Après avoir regardé une dernière fois  cette image qui ne présage rien de bon, je la fais flamber entièrement.
(...) Voilà deux mois que les cours ont repris, ma vie se résume au trajet en bus jusqu’à la fac, les crises de rires avec les copines, les exams et le ménage.  Rien de passionnant mais j’aime cette vie-là.
Quand un jeudi après-midi, la police débarque pour une perquisition. Ma mère essaie de protester, en vain. C’est la première fois, que cela arrive. Mon frère a déjà eu à faire avec la justice mais là, je sens que c’est différent, très différent. On nous pose quelques questions, je ne me souviens que des réponses : non…non…et non.
Un peu plus tard, dans le bureau du juge, ma mère est interrogée, je sers d’interprète. Comment traduit-on déjà homicide volontaire ? Je l’ai déjà entendu quelque part mais à cet instant précis, ça ne me vient pas. Tant pis :
— Ils croient qu’il a tué quelqu’un.
Ma mère me fixe pleine de reproches comme si c’était moi qui inculpais mon propre frère. Bien sûr, elle n’en croit pas un mot. Jamais son fils aîné, son chéri, son préféré, celui qu’elle a toujours favorisé, ne pourrait faire une chose pareille. D’ailleurs, elle tente de convaincre le magistrat qui se trouve en face d’elle :
— Non, pas possible, mon fils très gentil. Pas faire ça.
Elle se retourne finalement vers moi, désespérée :
— Il est innocent. Tu le sais toi ! Dis-le. Mais dis-le ! 

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