1) Kévin Cipollini. Comment êtes-vous devenue libraire ?
Laurence Quenard. Il faut vous dire que j’ai 56 ans, que je travaille en librairie depuis mai 1981, à cette époque la loi Lang n’était pas encore votée… Je le suis devenue par un hasard total ; être libraire relevait du fantasme. Je vivais avec un jeune écrivain sans le sou à qui Jérôme Lindon a proposé une place de libraire à Grenoble à la librairie du Square. Comme il ne voulait pas être libraire, il m’a proposé à sa place. J’y suis restée 20 ans et j’ai fait tous les boulots, pochothèque, réception, livraisons, littérature, sciences humaines, adjointe à la direction.
2) K. C. Pouvez-vous nous présenter la librairie Garin ? En quoi vous différenciez-vous des autres librairies ?
L. Q. Garin est une librairie généraliste de 350 m2, elle a plus de 60 ans et a longtemps eu le monopole sur la ville et ses alentours jusqu’à l’arrivée il y a une quinzaine d’années de Decitre. Un nouveau gérant est arrivé en 2007 et j’ai pris la direction la même année, j’ai fait beaucoup de « ménage », retours, création de rayons (poésie, théâtre, critique littéraire avant c’était un "joyeux bordel" !). J’ai vraiment mis toute mon énergie à ce que cette librairie ressemble à quelque chose, en faire une librairie de qualité avec des choix affirmés du côté de la littérature, des sciences humaines.
3) K. C. Quel type de livres vendez-vous ?
L. Q. Librairie généraliste nous avons aussi un rayon scolaire, parascolaire, nous vendons du pratique et de la papeterie/cadeaux.
4) K. C. Comment choisissez-vous les livres que vous vendez ? Et ceux du rayon littérature ?
L. Q. Chaque responsable de rayons voit les représentants des maisons d’édition et achète. Nous servons beaucoup de collectivités, nous devons donc avoir un « spectre assez large », mais nous faisons des choix. Responsable du rayon littérature, je procède de la même façon.
5) K. C. Quels sont les défis et les difficultés du métier de libraire ?
L. Q. C’est vrai que ce métier a beaucoup changé depuis que je le pratique. Je vais essayer de ne pas tenir un discours d’arrière-garde, nous vivons des mutations profondes depuis ces deux dernières années, La production s’est accélérée, les retours aussi et devant tant de titres, je trouve qu’on ne maîtrise plus vraiment ce que l’on reçoit ! On est obligés de faire des retours presque chaque semaine ! Et pourtant Garin a la chance d’être spacieuse et d’avoir beaucoup de tables, devant la recrudescence des commandes passées sur Amazon, quid du fonds ? Et pourtant il est de notre devoir à nous, libraires indépendants, d’en maintenir un, alors depuis un an je travaille des fonds avec les éditeurs, présentation sur les tables, vitrines, j’essaie de me démarquer de mes concurrents, Decitre et puis un petit nouveau qui est arrivé dans le paysage chambérien, une Fnac depuis fin 2011. Eux ils sont surtout sur les 20/80, les grosses ventes. Si on veut s’en sortir ça demande énormément d’énergie, coups de cœur, site. Les salaires en librairie sont un vrai problème, même si on le fait par passion car autrement autant faire autre chose, payer des bac+5 au niveau du Smic ou presque et leur demander de s’investir, de lire en rentrant chez eux. Pour ça, il faudrait que nos remises augmentent.
6) K. C. Quels sont les rapports avec les éditeurs ?
L. Q. Les rapports avec les éditeurs se font surtout par le biais des représentants. Un éditeur ne va jamais venir à Chambéry. S’il décide de venir en « province », il s’arrêtera dans les grandes villes. En 7 ans, il n’y a qu’Oliver Gallmeister qui ait pris la peine de venir nous voir ! Il y a une méconnaissance totale ou presque du métier de libraire par l’éditeur et un certain mépris aussi, sauf pendant cette période de mai à juin où nous (quelques libraires de 1er niveau) sommes invités par les éditeurs où, lors de repas, on nous présente la rentrée littéraire en présence d’auteurs. Ça se fait dans les grandes villes de province.
7) K. C. Quelles relations éventuelles entretenez-vous avec les auteurs et/ou les traducteurs ?
L. Q. J’ai toujours pensé qu’il valait mieux ne pas rencontrer les auteurs de livres que j’ai aimés, ne pas savoir grand-chose d’eux ne me gêne pas. Déformation personnelle en ayant vécu avec un de ces derniers au quotidien.
8) K. C. Quelles sont vos perspectives pour l'avenir ?
L. Q. Il y a un avenir pour la librairie mais je pense qu’on va connaître de gros bouleversements. Il va falloir y mettre beaucoup d’énergie ; dans les grandes villes je ne m’inquiète pas trop, mais dans les villes moyennes comme ici, les librairies seront moins nombreuses que maintenant.
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