jeudi 21 mars 2013

Le thème de l'agrégation externe d'espagnol – session 2013

Là-bas, à vivre de mer et d’arc-en-ciel, les couleurs souvent leur suffisent. Ils savent rester des journées entières à arpenter leur bord de mer sans mettre des mots sur leurs pensées. Ce n’est pas comme ici où la vie a peur du silence. Ici, si au réveil on ne s’est pas préparé à partir au combat, on n’a pas la vie devant soi. Le pain, ça se chasse comme le gibier, et vu qu’il n’y en a pas pour tout le monde, le bruit a remplacé l’espoir. Ce que tu as vu à l’aéroport, vingt porteurs pour une seule valise qui baragouinent dans toutes les langues, c’est rien. Attends de voir le centre-ville. Il nous faudra le traverser, patauger dans le bruit jusqu’à la gare du Nord. Les étrangers souvent y perdent leurs oreilles, à entendre malgré eux, égaux en droits dans le vacarme, les choses, les bêtes et les humains. Les casseroles. Les pots d’échappement. Les crieurs qui marchandent tout, des élixirs aux antibiotiques en passant par les crèmes éclaircissantes et les pilules qui font grossir. Les fonctionnaires de la mairie qui chassent les marchandes de céréales, de fruits et de légumes installées sur la chaussée. Les porte-voix des volontaires de la santé publique qui vantent les vertus du lait maternel et du lavage des mains. Nul ne peut écouter tant de bruits en même temps, qui s’opposent, se contredisent, te crèvent les tympans pour fourrer dans ta tête l’illusion du mouvement. Les queues devant le bureau de l’Immigration et le ministère des Affaires sociales, les menaces des agents de sécurité et les réactions de la foule, va te faire voir, cela fait des semaines qu’on attend. Les taxis-motos qui se faufilent entre les voitures. Les cambistes qui te vendent de la fausse monnaie au taux du jour et mettent leurs billets devant la gueule du passant pour attirer la clientèle. Les agents de la circulation qui font causette avec leurs maîtresses au milieu de la rue. Les piétons qui se rentrent dedans et s’engueulent à qui la faute. Au centre-ville,  le bruit c’est comme la pauvreté,  on n’en a jamais fait le tour.

Lyonel Trouillot, La belle amour humaine, 2011, ed. Actes Sud, pp. 16-17

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Ana nous propose sa traduction :

Allí, al vivir entre la mar y el arcoiris, a menudo les llega con los colores. Se saben quedar días enteros recorriendo su litoral sin poner palabras a sus pensamientos. No es como aquí, donde la vida tiene miedo del silencio. Aquí, si al despertar no estás preparado para el combate, la vida se te escapa de las manos. El pan se caza como a una presa, y al no haber para todo el mundo, el ruido ha sustituido a la esperanza. Lo que has visto en el aeropuerto, veinte mozos para una sola maleta chapurreando en todos los idiomas, no es nada. Espera a ver el centro de la ciudad. Lo tendremos que atravesar, introducirnos en el ruido hasta la estación del Norte. Allí, los extranjeros pierden a menudo los oídos escuchando, aún sin querer, pues son iguales en derechos en medio del jaleo, las cosas, a los animales y a los humanos. Las cacerolas. Los tubos de escape. A los vendedores ambulantes regateando de todo, desde elixires, a antibióticos, pasando por cremas aclarantes y pastillas que engordan. A los funcionarios del ayuntamiento expulsando a los mercaderes de cereales,  de frutas y de legumbres, instalados en la calzada. A los portavoces de los voluntarios de la sanidad pública alabando las virtudes de la leche materna y del lavado de manos. Es imposible escuchar tantos ruidos a la vez, oponiéndose, contradiciéndose, reventándote los tímpanos para meterte en la cabeza la ilusión del movimiento. Las colas delante de la oficina de inmigración y del ministerio de asuntos sociales, las amenazas de la policía y las reacciones de la multitud, vete por ahí, que hace semanas que estamos esperando. Las motos taxis colándose entre los coches. Los cambistas vendiendo  dinero falso al interés del día y metiéndole a los pasantes los billetes en los morros para atraer a la clientela. Los guardias de tráfico cotilleando con sus amantes en medio de la calle. Los peatones buscándose y entrándose al trapo, cada cual peor. En el centro, el ruido es como la pobreza, uno nunca lo ha visto todo.

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