mardi 19 mars 2013

Exercice d'écriture 10 – par Céline Rollero

« Dis-le ! Mais dis-le ! »

« Si tu sais quelque chose d’autre, je t’en supplie dis-le ! » L’espace de quelques secondes, ému par les larmes de cette mère désespérée, j’ai effectivement envisagé la possibilité de le lui dire… avant d’y renoncer définitivement. Non, elle ne devait pas savoir. Il valait mieux qu’elle ne le sache pas. Pourtant, ce n’était pas entièrement de ma faute. Comment aurais-je pu deviner que tout terminerait de la sorte ? Ce n’était qu’un rituel ordinaire pour initier les nouveaux venus, leur montrer que la jungle n’est pas si dangereuse. Une petite plaisanterie banale et sans risque. D’ailleurs, d’habitude, les crocodiliens ne prêtent pas attention à l’homme. Ils vivent dans un milieu qui regorge de nourriture de toute sorte. Pourquoi s’intéresseraient-ils à une proie si gesticulante et peu appétissante ? Mais là… Dès que je l’ai poussé dans l’eau boueuse, il s’est mis à crier. En même temps, qui ne crierait pas en se retrouvant pour la première fois dans une telle situation ? Puis les cris ont augmenté d’intensité, jusqu’à devenir des hurlements déchirants. Et là, stupeur : dans l’eau noirâtre, deux yeux jaunes, des mâchoires qui se referment, des cris, du sang, beaucoup de sang. Tétanisé, sans prendre la mesure de l’urgence, je n’ai pas réussi à bouger d’un millimètre. Tant bien que mal, il a fini par parvenir à se hisser dans la pirogue. Affreusement mutilé. Il vociférait. Je n’étais qu’un putain d’enfoiré, j’avais voulu le tuer, il allait tout raconter, me dénoncer à la police. Ce mot m’a terrifié. Pas ça. Pas encore. Pas ici. J’ai paniqué. Dans un état second, je l’ai repoussé à l’eau et je suis parti. Était-il mort noyé ? Vidé de son sang ? Dévoré par les caïmans noirs ? Qui allait le savoir ? Mon crime n’avait pour témoin que la jungle et les milliers d’animaux qui la peuplent. Dès lors, quoi de plus simple que de faire croire qu’il s’était perdu en forêt ? Non, décidemment, je ne pouvais pas le lui dire. Qui oserait annoncer à une mère éplorée qu’il est l’assassin de son fils, qui ?

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