samedi 20 avril 2013

Exercice d'écriture 14 – par Élise Poullain

« Dialogue impossible »

Je n’étais pas bien vieux à l’époque, pourtant, je me souviens parfaitement de ce triste épisode. J’étais assis sur le tapis marron et mousseux du salon, occupé par l’activité favorite des gamins de 13 ans – c’est-à-dire,  ne rien faire devant la télé et rire pour un rien – alors que maman était dans la cuisine en train de préparer le dîner. Papa est rentré, comme d’habitude, avec son air fatigué et dépité de fin de journée, comme d’habitude. S’en est suivie la discussion typique, les banalités affligeantes meublant la routine de deux êtres qui ne partagent plus grand-chose.
— Ça s’est bien passé aujourd’hui ? – a-t-elle lancé dans un lamentable effort de communication.
— Bah, comme toujours. Rien de particulier, deux trois réparations par-ci par-là, a-t-il répondu de loin, sans même la rejoindre dans la cuisine. J’en ai marre de cette satanée fourgonnette, on a encore mis plus de temps à y aller qu’à vraiment bosser. C’est pas possible de rouler avec un engin pareil…
— Je voulais faire un poulet basquaise mais j’avais pas tout ce qu’il fallait. Tant pis, vous verrez même pas la différence de toute façon. Personne ne fait plus attention à rien dans cette maison…
— C’est pas une question de faire attention ou pas, c’est une bouse cette bagnole, c’est pas nouveau ! Non mais à vouloir faire le radin sur le matos, il va devoir nous en racheter une l’autre pingouin ! Et crois-moi, je serai le premier à me fendre la poire quand il nous verra rentrer à pied le jour où elle va nous lâcher !
— C’est quand même pas pareil,  sans l’ail.
— Je vais finir par démissionner, moi, ça lui fera les pieds ! Toute cette galère pour des broutilles… C’est quand même le comble.
— Et j’ai même pas un p’tit verre de blanc pour détendre la sauce… Ça me détendrait aussi remarque…
C’était insensé, mais j’étais apparemment le seul à le voir. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il était déjà trop tard, que plus rien n’unissait ces deux personnes, si proches et, pourtant, égarées dans leurs univers navrants mais incompatibles. Je ne connaissais pas encore les mots précis pour décrire tout ça, mais je savais que c’était fini depuis longtemps. Ça aide à grandir, les situations foireuses. Ils se trouvaient à quelques mètres l’un de l’autre, mais le dialogue était impossible. Pas par manque d’effort, non, le lien n’existait plus. Ce fil magique qui crée l’échange et le partage. Il ne restait plus que le vide et l’absurde. Et au milieu de cette farce, elle a ajouté :
— Faudrait vraiment racheter un fusil, il coupe plus du tout ce couteau, c’est énervant !
Et j’ai vu Papa penser que s’il achetait un fusil, ça ne serait pas un de ceux qui aiguisent les couteaux, mais plutôt un vrai, pour lui trouer la peau. 

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