lundi 15 octobre 2012

Exercice d'écriture 2 – par Kévin Cipollini

« Description d'une couleur »

On m’a souvent demandé comment un aveugle de naissance comme moi faisait pour visualiser le monde qui l’entoure, sachant que, a priori, je n’ai jamais pu percevoir ce qui permet, entre autres, la différenciation des éléments physiques, à savoir les couleurs. C’est en écoutant les explications diverses de mon entourage que j’ai pu m’en faire une idée. Jusqu’à ce que je me rende compte qu’en fait, une couleur ne se voit pas : elle se visualise. Comment donc pouvait-on me décrire par exemple la couleur jaune si, au final, on me donnait des descriptions aussi différentes les unes que les autres ? Je peux vous assurer que du jaune, j’en ai vu de toutes les couleurs ! D’ailleurs, cette expression n’est-elle pas la preuve de ce que j’avance ?
Ce sont nos autres sens qui se voient décuplés quand nous perdons la vue, ou quand nous ne l’avons jamais eue, et ce sont ces même sens, mes attaches au monde réel, qui compensent mon handicap. Reprenons l’exemple du jaune. Les enfants dessinent le soleil de cette couleur, paraît-il. Eh bien, grâce à cela, je sais que la chaleur réconfortante de cet astre est jaune. Et ce réconfort jaune, je le retrouve dans la musique, en particulier le gospel, qui laisse exprimer un chant bienveillant. Je pensais qu’il en était ainsi pour toutes les autres couleurs, qu’on pouvait leur donner des caractéristiques congruentes. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai appris que ce jaune,  si doux,  si réconfortant, si joyeux, était en même temps acide comme un citron, ou encore hypocrite quand il riait.
Mais ce n’est pas qu’une question de perception, physiques ou psychiques, c’est aussi un ressenti personnel, et que l’on appelle synesthésie. Mon gospel est jaune, mais celui de mes proches est en général bleu ou noir. Comme Rimbaud, je mêlais inconsciemment des ressentis particuliers quand je perçois une lettre. Lui, il les voyait, moi, je les touche, et pourtant,  nous avions ces ressentis en commun,  même si de toute évidence, nous ne sommes pas d’accord sur certaines lettres. Elles sont mêmes multicolores. Un « b» est chaud comme le jaune, mais également sucré comme le blanc. Si je devais définir les couleurs, je dirais qu’elles sont un peu vivantes, voire humaines : nous les identifions par des caractéristiques uniques, mais elles sont perçues selon nos ressentis personnels.

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